Irak : Un tournant de Bush ? Calcul électoral et aveu d'échec28/11/20032003Journal/medias/journalnumero/images/2003/11/une1843.jpg.445x577_q85_box-0%2C104%2C1383%2C1896_crop_detail.jpg

Dans le monde

Irak : Un tournant de Bush ? Calcul électoral et aveu d'échec

Est-on en train d'assister à un changement de politique de la part des dirigeants américains en Irak? C'est ce qu'avaient déjà laissé entendre les déclarations officielles faites au lendemain du rappel impromptu à Washington de Paul Bremer, le proconsul de Bush à Bagdad, le 11 novembre. Et c'est ce que vient de confirmer Bush lui-même lors d'une longue interview donnée à la télévision britannique à l'occasion de sa récente visite à Londres.

D'après ces déclarations, les États-Unis auraient adopté un nouveau scénario dans lequel ils renonceraient à subordonner la transmission du pouvoir à un futur gouvernement irakien à son élection en bonne et due forme -ce qui, dans le chaos qui règne aujourd'hui dans le pays, ne pourrait s'envisager que dans un avenir aussi lointain qu'indéterminé. Au lieu de cela, l'administration Bush aurait opté pour un plan "à l'afghane". Il comporterait la désignation d'une assemblée "représentative", c'est-à-dire regroupant les forces politiques sur lesquelles les autorités américaines croient pouvoir compter et celles qu'elles ne peuvent se permettre d'ignorer. Cette assemblée devrait alors adopter une "loi organique" faisant office de constitution provisoire et désigner un gouvernement auquel les autorités d'occupation remettraient le pouvoir. À charge, par la suite, à ce gouvernement d'organiser des élections... une fois qu'il se sentirait assez fort pour les remporter, sans doute.

C'en serait donc fini des mensonges hypocrites de Bush, osant parer l'occupation militaire de l'Irak de prétendus objectifs "démocratiques". Comme en Afghanistan, on verrait les chefs de factions armées, des milices nationalistes kurdes à celles des intégristes chiites, se partager le pouvoir à Bagdad, quitte à se le disputer les armes à la main en dehors de la capitale.

Sans doute le prix d'une telle situation serait-il élevé pour la population irakienne, qui serait inévitablement prise en otage par les factions rivales. Mais cela ne gênerait nullement Washington pourvu que, en retour, un contingent limité de troupes américaines, assisté d'auxiliaires irakiens, puisse enfin assurer sans trop de risques la sécurité des installations pétrolières et la reprise des exportations d'or noir qui, pour l'instant, sont toujours bloquées par les attentats.

Reste évidemment à Bush à trouver des partenaires qui soient à la fois prêts à rentrer dans ce jeu tout en ayant le poids politique nécessaire pour remplir le rôle qu'il attend d'eux. Or ce n'est pas gagné d'avance, ne serait-ce que du fait de la surenchère antiaméricaine à laquelle se livrent déjà les groupes intégristes.

Il est évident que ce plan reflète en partie les préoccupations électorales de Bush en prévision de la présidentielle de novembre 2004, face à un électorat mécontent du nombre croissant de victimes dans les rangs américains. Ce n'est pas un hasard si les déclarations officielles annoncent implicitement un retrait au moins partiel des troupes d'ici à la mi-2004 -même si plusieurs experts proches du Pentagone sont intervenus publiquement dans la presse pour affirmer qu'un désengagement à si brève échéance ne pouvait être envisageable.

Mais préoccupations électorales ou pas, ce changement de politique, s'il se confirme, n'en constituerait pas moins un aveu d'échec de la part de Bush. Malgré les énormes moyens matériels, financiers et humains dont il disposait, sans parler des moyens militaires, et l'atout politique d'avoir été le tombeur d'une dictature féroce qui était sans doute honnie par la majorité de la population irakienne, Bush n'aura quand même pas réussi à s'assurer, sinon l'assentiment, au moins la neutralité de la population irakienne envers l'occupation du pays par les forces anglo-américaines.

Avec toute l'arrogance et le mépris des peuples qui caractérisent les dirigeants impérialistes, Bush a cru pouvoir compter sur le fait que le peuple irakien, écrasé par la misère, se soumettrait sans combat. Mais comme tant d'autres de ses prédécesseurs, il aura eu le tort de sous-estimer les capacités de résistance des populations pauvres.

Partager