Sécurité sociale : Oui, il y a des abus... mais du côté de l’État19/11/20032003Journal/medias/journalnumero/images/2003/11/une1842.jpg.445x577_q85_box-0%2C104%2C1383%2C1896_crop_detail.jpg

Editorial

Sécurité sociale : Oui, il y a des abus... mais du côté de l’État

Après les campagnes sur les malades ou les blessés qui iraient trop souvent consulter aux urgences, les personnes âgées qui consommeraient trop de médicaments, c'est au tour des arrêts maladie qualifiés d'abusifs d'être accusés de porter la responsabilité du déficit de la Sécurité sociale. Un rapport de l'Inspection générale des affaires sociales, remis le 12 novembre au ministre de la Santé, préconise de renforcer les contrôles sur les arrêts maladie de longue durée, de raccourcir la durée maximale d'indemnisation de trois à deux ans, de limiter le paiement des indemnités journalières à trois mois en cas de rupture du contrat de travail -et tant pis pour le travailleur qui, en plus de perdre son emploi, aura le malheur de tomber malade-, et de calculer les indemnités journalières des chômeurs sur la base de leurs allocations, et non plus sur celle du dernier salaire perçu. Et comment vivre avec 50% des indemnités de chômage, pour un travailleur qui était payé au Smic?

Le gouvernement n'a pas fait connaître ses intentions, et ne prendra peut-être aucune décision à ce sujet avant les élections régionales et européennes du printemps 2004. Pour le moment, il ne s'agit sans doute que de tenter de culpabiliser les travailleurs, en même temps que de flatter la fraction la plus réactionnaire de l'électorat de droite, ces bourgeois grands ou petits qui considèrent que tous les salariés sont des fainéants. Mais ce rapport, demandé par le gouvernement, montre ce que celui-ci entend par «réforme de la Sécurité sociale».

Le nombre d'arrêts de travail a peut-être augmenté. Mais pas seulement à cause du vieillissement de la population, ou à cause de «l'accroissement de la pression mentale» ressentie au travail, facteurs que le rapport de l'Inspection générale des affaires sociales veut bien prendre en compte. C'est à cause, aussi, de la dégradation des conditions de travail, des cadences sans cesse plus élevées sur les chaînes de montage, responsables d'affections touchant les os et les tendons, y compris chez des travailleurs de 25 ou 30 ans.

Mais les conditions de travail dans les entreprises, cela n'intéresse ni le gouvernement, ni son Inspection des affaires sociales. Personne, dans ces milieux-là, ne se scandalise du fait que dans nombre de grandes entreprises la direction fait pression sur les victimes d'accidents du travail, afin qu'elles ne les déclarent pas. Non pas parce que le patronat voudrait faire économiser de l'argent à la Sécurité sociale, mais au contraire parce qu'il veut éviter d'être taxé par celle-ci. Ces pratiques n'intéressent pas l'État précisément parce que celui-ci est au service des patrons.

Ce qui intéresse le gouvernement, ce n'est pas le déficit de la Sécurité sociale, ce sont les sommes considérables que représente son budget, dans lesquelles il puise abusivement.

On nous présente les choses comme si la Sécurité sociale était une oeuvre de charité financée par l'État au bénéfice des travailleurs qui en abuseraient. Mais l'argent de la Sécurité sociale, c'est l'argent des travailleurs. Et c'est l'État qui en abuse en faisant financer par la Sécurité sociale la construction des hôpitaux, la formation des futurs médecins, toutes choses qui devraient lui incomber (comme il finance les autres enseignements supérieurs ou la construction des casernes!), sans parler des réductions de charges sociales accordées au patronat, et que l'État ne compense que partiellement.

C'est pourquoi, quel que soit le détail des mesures que le gouvernement envisage de prendre sur la Sécurité sociale, on peut être sûr que le but qu'il poursuivra restera celui recherché par tous les gouvernements depuis plus de vingt ans: restreindre encore les droits des travailleurs, et faire financer le maximum de services publics par la Sécurité sociale (sans compter une aide aux cliniques privées), afin de disposer de plus de moyens pour faire des cadeaux aux entreprises.

Mais encore faudrait-il, et c'est bien pourquoi le gouvernement avance à petits pas, que les travailleurs se laissent faire.

Arlette LAGUILLER

Editorial des bulletins d'entreprise du 17 novembre 2003

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