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Dans les entreprises
Le danger des éthers de glycol : Lenteurs criminelles
Mardi 4 novembre, au tribunal de Nanterre, était examinée une plainte en référé contre IBM pour «mise en danger de la vie d'autrui pour défaut de suivi médical et pour défaut d'information». En cause, les éthers de glycol, des solvants contenus dans de nombreux produits industriels et notamment des produits de nettoyage, dont on sait depuis plus de vingt ans qu'ils sont hautement toxiques mais qui continuent à être largement utilisés dans l'industrie.
Le dépositaire de la plainte, Thierry Garofalo, a travaillé cinq ans chez IBM, entre 1988 et 1993, avant de se retrouver en invalidité, atteint de multiples troubles de la santé et de stérilité. Il ne savait pas que le produit d'entretien qu'il utilisait pour nettoyer, plusieurs fois par jour, le plan de travail sur lequel il manipulait des circuits électroniques contenait des éthers de glycol. Pas plus qu'il ne savait que ceux-ci sont des produits toxiques. Il l'a appris, au hasard de ses lectures, et en 2002 il a déposé plainte contre X. Il y a un mois et demi, l'expertise médicale commandée par le tribunal auprès duquel il avait porté plainte l'a affirmé: «M.Garofalo présente une atteinte de la reproduction qui est imputable de façon directe et certaine à une origine toxique». Pour la première fois, les tribunaux viennent donc de reconnaître la relation de cause à effet entre les éthers de glycol et les troubles de la fertilité.
Les éthers de glycol sont des solvants qui entrent dans la composition de nombreux produits: produits d'entretien, peintures, colles, encres, vernis, désodorisants, produits de maquillage, teintures, etc. Parmi les dizaines d'éthers de glycol existants, tous ne présentent apparemment pas la même toxicité. Mais depuis le début des années 1980, des études menées sur des animaux de laboratoire ont montré que certains d'entre eux provoquent des atteintes sévères et des cancers des testicules, des malformations foetales et des altérations du sang. Il y a vingt ans, en 1982, un rapport publié par le Centre de toxicologie et d'écologie de l'industrie chimique européenne concluait: «Il est prudent de présumer que, pour une exposition comparable, les éthers de glycol exerceraient chez l'homme les mêmes effets sur le système hématopoïétique (sur le sang), sur les testicules et sur l'embryon que chez l'animal».
Il a cependant fallu attendre... quinze ans pour que, en 1997, quatre de ces éthers soient interdits. Sauf que cette interdiction ne concerne que les produits ménagers grand public qui les contiennent. Aucune interdiction ne frappe les produits industriels, dans la composition desquels entrent pourtant les mêmes éthers!
En 1999, ces éthers ont été interdits dans la fabrication des médicaments, considérant que «l'administration à l'homme de médicaments (...) comportant dans leur composition certains éthers de glycol est susceptible de faire courir un risque grave pour la santé humaine». Dans le même temps que les autorités sanitaires confirmaient la haute toxicité de ces produits pour le développement de l'embryon et du foetus. Mais toujours aucune interdiction pour les produits utilisés dans l'industrie.
Pour les travailleurs qui les manipulent, des circulaires énoncent simplement: «Il est nécessaire de limiter les risques (...). Des mesures de réduction devraient être prises pour l'exposition professionnelle lors de l'application de ces produits.» Moyennant quoi certains sont désormais étiquetés avec un pictogramme à tête de mort assorti de la mention «Peut altérer la fertilité» et «Risque pendant la grossesse d'effets néfastes pour l'enfant». Et recommandation est faite aux industriels de «réduire l'utilisation de ces substances sur le lieu de travail en les remplaçant, dans la mesure où cela est techniquement possible, par une substance moins dangereuse pour la santé». Simple conseil, en somme.
Le 4 novembre, au tribunal, IBM a nié l'évidence, refusant toute responsabilité dans l'état de santé de M.Garofalo. Combien faudra-t-il encore de victimes avant que les patrons soient enfin contraints de ne plus exposer les travailleurs aux poisons que sont les éthers de glycol.