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Leur société
Le Clemenceau : Même réformé, il est dangereux
Réformé après 45 ans de service et voué maintenant à la ferraille, le porte-avions Clemenceau refait parler de lui. On constate que sa carcasse contient quantité de produits toxiques, dont l'amiante.
Le Clemenceau était, nous dit-on, un des fleurons des forces navales françaises. Il n'y a pourtant pas de quoi être fier des missions auxquelles il a participé, parmi lesquelles le débarquement des troupes françaises en Arabie saoudite lors de la guerre contre l'Irak en 1991.
Il y a quelques mois, le Clemenceau a été cédé gratuitement à une entreprise espagnole de ferraillage chargée de son démantèlement. Mais non contente de bénéficier de la revente de 30000 tonnes de ferraille du porte-avions, elle a cherché à retirer un bénéfice supplémentaire en faisant effectuer le travail en Turquie, où la main-d'oeuvre est moins chère, et surtout où la législation sur l'amiante est moins contraignante. Les autorités françaises disent maintenant qu'il y a rupture de contrat et annoncent leur intention de récupérer le Clemenceau en cours de remorquage en Méditerranée, pour confier son dépeçage à une autre entreprise.
Pour une affaire de ce genre qui est ébruitée, combien y en a-t-il qui sont passées sous silence, où un patron -espagnol, français ou autre- a exporté discrètement une pollution mortelle vers un pays peu regardant sur les règles de protection des salariés. Ce n'est d'ailleurs pas que les pays où existe une réglementation plus contraignante soient beaucoup plus stricts, et ne rusent pas avec les lois. Mais ils sont, malgré tout, obligés de ne pas dépasser certaines limites. On parle souvent de délocalisation des emplois dans les pays où la main-d'oeuvre est moins chère, mais la gestion -ou plutôt l'absence de gestion- des déchets entre aussi en ligne de compte dans les raisons des délocalisations. En fait, c'est dans tous les domaines et à l'échelle de la planète que la loi du profit règne.
Mis à l'eau en 1957, le Clemenceau avait été construit à l'arsenal de Brest, où, pendant des décennies, les travailleurs ont donc été exposés à l'amiante. Certains d'entre eux, ou des proches de ceux qui sont déjà décédés, se sont adressés aux tribunaux pour faire reconnaître la «faute inexcusable de l'employeur». Avec l'aide de l'Association de défense des victimes de l'amiante, plus de 700 dossiers ont été déposés devant la justice dans le Finistère, dont certains concernent l'arsenal de Brest. Pour le moment, seuls 81 d'entre eux ont abouti positivement, avec indemnisation. Un tribunal a pourtant reconnu que «l'État, au travers de la direction des constructions navales, service du ministère de la Défense, qui est l'un des plus importants consommateurs d'amiante de l'industrie française, ne pouvait ignorer l'ampleur et la nature du danger ainsi que l'obligation dans laquelle elle se trouvait de mettre en oeuvre les dispositifs de protection préconisés depuis... 1906» -presque 100 ans! Il a retenu notamment plusieurs témoignages soulignant «qu'au sein des chantiers, les salariés travaillaient dans un nuage de poussière, dans des locaux confinés, sans ventilation ni aération , démontant les calorifugeages à base d'amiante sous forme de tresses, matelas ou baudriers pour avoir accès aux tuyauteurs, l'amiante surchauffée se désagrégeant en fine poussière». La direction de l'arsenal avait donc connaissance en 1952 des risques graves auxquels étaient exposés les ouvriers de l'arsenal de Brest travaillant à la construction et à la réparation des navires.
Les autorités françaises déclarent aujourd'hui s'inquiéter du désossement du porte-avions Clemenceau. Soit, mais cela ne peut faire oublier leur insouciance concernant les dangers de l'amiante pendant des décennies. Et aujourd'hui encore, il faut de longs et laborieux procès pour tenter d'obtenir une indemnisation alors que chaque jour des travailleurs qui ont été en contact avec l'amiante disparaissent.