Grande-Bretagne - "Réduction" de la semaine de travail : L'effet boomerang25/09/20032003Journal/medias/journalnumero/images/2003/09/une1834.jpg.445x577_q85_box-0%2C104%2C1383%2C1896_crop_detail.jpg

Dans le monde

Grande-Bretagne - "Réduction" de la semaine de travail : L'effet boomerang

Alors que les vagues de suppressions d'emplois se multiplient en Grande-Bretagne comme dans le reste de l'Europe, ceux qui ont du travail passent de plus en plus d'heures à gagner (souvent très mal) leur vie. C'est ce que révèle la comparaison de deux études basées sur des chiffres officiels, l'une de 1997 et l'autre de cette année. Selon ces études, le nombre des salariés faisant plus de 48 heures par semaine est passé de 2,7 millions en 1997 à 4,5 millions cette année.

Le comble de l'ironie, c'est qu'entre ces deux études, en 1998, le gouvernement travailliste de Tony Blair a promulgué la première législation limitant la durée du travail qu'ait connue le pays, sous prétexte d'aligner la Grande-Bretagne sur le reste de l'Europe. A ceci près qu'il en a profité pour concocter une loi sur mesure pour le patronat.

Sans doute cette loi limitait-elle la durée hebdomadaire du travail à 48 heures, mais elle ne prévoyait aucun moyen de faire respecter cette limite. Les employeurs n'avaient pas à charge de s'assurer que leurs salariés faisaient moins que le maximum légal. C'était à ces derniers de le faire et, le cas échéant, d'aller devant les tribunaux industriels (la version anglaise des Prud'hommes). Autant dire que ceux qui ont fait valoir leurs droits ont dû souvent le faire en tant que... chômeurs, après s'être fait licencier pour leur peine, et comme ces tribunaux ne peuvent pas imposer la réintégration d'un travailleur licencié, cela a constitué un moyen de dissuasion efficace.

Surtout, la législation de Blair introduisait trois mécanismes de dérogation qui ont été à l'origine de l'augmentation des heures de travail pour un grand nombre de travailleurs, et d'une sérieuse dégradation de leurs conditions de travail pour bien d'autres.

Tout d'abord, cette loi prévoyait la possibilité pour les salariés de signer une déclaration de renonciation "volontaire" à ses dispositions. Dans des secteurs comme le bâtiment ou la restauration, la signature d'une telle renonciation est vite devenue une condition d'embauche ou de non-licenciement. Depuis, ce genre de pressions s'exercent de plus en plus dans des entreprises plus "respectables", comme la poste ou encore les compagnies de chemin de fer.

Ensuite la loi disait, en petits caractères, que le maximum de 48 heures était en fait une moyenne sur une période de référence de 17 semaines. Sous réserve que cette moyenne soit respectée, un patron pouvait, en toute légalité, imposer à ses salariés jusqu'à 78 heures de travail par semaine avec un seul jour de repos dans les périodes de pointe! Dans d'innombrables PME, la flexibilité des horaires a ainsi fait son apparition.

Dans les grandes entreprises, de telles mesures auraient sans doute suscité de violentes réactions. Et c'est surtout pour elles que la loi de Blair offrit la possibilité d'une période de référence de six mois à un an pour le calcul de la moyenne des 48 heures, à condition que cela se fasse dans le cadre d'accords collectifs avec les appareils syndicaux.

Ceux-ci se sont précipités dans une brèche qui leur offrait une occasion de prouver leur utilité, en tant que "partenaires", au patronat. Et on a vu se multiplier les accords de flexibilité dans de grandes entreprises, de BMW dans l'automobile à British Aerospace dans la construction aéronautique, avec la participation active des syndicats. Et dans ces entreprises, comme dans les PME, la flexibilité s'est assortie de suppressions d'emplois, d'une aggravation des rythmes de travail et de la disparition totale ou partielle des heures supplémentaires qui, vu le niveau des salaires, sont souvent le seul moyen pour bien des travailleurs de boucler le mois.

Il ne faut donc pas s'étonner si la Grande-Bretagne continue à figurer, comme avant 1998, au premier rang européen, aux côtés du Portugal et de la Grèce, pour la longueur de la durée hebdomadaire moyenne de travail. Le fait que ce soit sous un gouvernement travailliste et avec la caution des appareils syndicaux laisse un goût d'autant plus amer à bien des travailleurs politisés, que cela se produit plus de 120 ans après que le mouvement ouvrier britannique a pour la première fois lancé le mot d'ordre de la semaine de 40 heures dans les rues de Londres!

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