AZF Toulouse : Deux ans après, des plaies non refermées25/09/20032003Journal/medias/journalnumero/images/2003/09/une1834.jpg.445x577_q85_box-0%2C104%2C1383%2C1896_crop_detail.jpg

Leur société

AZF Toulouse : Deux ans après, des plaies non refermées

Le deuxième anniversaire de la catastrophe AZF à Toulouse a donné lieu à nombre de reportages qui se voulaient rassurants, mais qui n'arrivaient pas à cacher l'étendue du désastre, désastre dont les conséquences continuent de se faire sentir.

En effet, deux ans après, au-delà des victimes directes, les morts, les blessés, atteints dans leur chair ou moralement et qui resteront marqués à vie, il y a les conséquences en termes de pertes d'emploi ou de destructions non réparées.

Il y a toujours cette même incurie de l'État en ce qui concerne le contrôle et la surveillance des sites industriels à hauts risques comme celui d'AZF: malgré quelques recrutements d'inspecteurs du travail spécialisés dans le risque industriel, il en manque toujours cruellement pour surveiller les 1 249 usines classées Seveso.

Par contre, le groupe TotalFina affiche une santé économique insolente. L'usine de Toulouse est fermée, mais qu'à cela ne tienne! La production d'ammoniaque continue à l'usine de Grand Puy, à 60 km au sud-est de Paris. Cette usine du groupe Total a même augmenté sa production en récupérant du matériel sur le site de l'usine de Toulouse, après l'explosion, au mépris de toutes les règles de sécurité.

En ce qui concerne l'emploi, seulement 50 salariés n'en auraient pas retrouvé après la catastrophe, selon un journaliste de France Inter. C'est totalement faux. C'est à peu près le nombre de salariés AZF dont le sort n'est pas encore réglé: mais il y a tous les autres, ceux du pôle chimique, salariés directs et sous-traitants, et ceux des entreprises petites ou moyennes qui ont fermé, ou ont déménagé en réduisant leurs effectifs. La cellule de reconversion chargée à grands renforts de subventions de retrouver des emplois à ceux qui l'ont perdu avoue n'avoir replacé que 133 personnes, sur les 800 qui se sont manifestées auprès d'elle.

Dans le quartier sinistré, la moitié des commerces de proximité n'ont toujours pas rouvert... parce qu'il n'y a plus de clients. Il y avait quatre garages et deux stations-service route d'Espagne: aucun n'a repris le travail. Route de Seysses, il n'y a plus qu'un boulanger sur les quatre d'avant l'explosion. Des entreprises du quartier utilisent même les subventions pour déménager! Concernant les dédommagements, TotalFina affirme que 95% des dossiers sont instruits. Il faut savoir que le porte-parole des assurances avançait déjà ce résultat trois mois après l'explosion, en décembre 2001. C'est certes un peu moins faux deux ans après, mais c'est quand même faux! On découvre tous les jours des sinistrés -des personnes âgées isolées, par exemple- tellement traumatisés qu'ils n'ont pas encore entrepris les démarches. Et des dossiers instruits par TotalFina ne sont pas des dossiers réglés: cela signifie seulement que TotalFina a arrêté ses propositions, même si elles ne conviennent pas du tout au sinistré concerné. C'est ainsi que plus de la moitié des dossiers corporels n'ont pas abouti à un accord, et ne sont donc pas réglés.

Mais le côté le plus visible de cet abandon dans lequel sont laissés les sinistrés concerne les travaux. Le quartier a toujours des allures de champ de bataille défoncé par des bombes. Les pouvoirs publics ne se sont toujours pas donné les moyens d'effacer les cicatrices. C'est dans les cités les plus pauvres que les travaux tardent le plus. C'était parfaitement prévisible et c'était le sens du combat du "collectif des sans-fenêtres", qui exigeait que l'État vote une loi d'urgence pour garantir un traitement équitable des différentes victimes.

À la Cité de la Rocade, les travaux sont à moitié faits, et à reprendre en totalité. Le marché a été confié par le syndic à une entreprise marseillaise de la signalisation électrique (!) qui a été payée rubis sur l'ongle, alors que les travaux étaient à moitié faits, et qui a détalé dès le chèque encaissé. Toutes les démarches sont à reprendre, et au mieux une année de plus sera nécessaire pour tourner la page.

La situation n'est pas meilleure Cité du Parc. Dans les bâtiments autorisés à l'habitation, les volets ne sont toujours pas changés, ce qui rend les appartements vulnérables. Bien des habitants ne sont pas partis en vacances, de peur d'être cambriolés! Les travaux sur les parties communes n'ont toujours pas commencé. Il faut dire que l'assurance de la copropriété s'est déclarée incapable de payer les entreprises, alors qu'elle avait l'engagement de se faire rembourser par l'assurance de TotalFina. Bien qu'assignée, l'assurance n'a pas payé, et les entreprises ont abandonné le chantier. Le temps pour la copropriété de négocier un paiement direct par TotalFina, il y en a au moins pour six mois de délais supplémentaires.

C'est dans cette situation que l'on a appris que la mairie de Toulouse avait tranquillement décidé de verser à son budget ordinaire le reliquat des dons en faveur des sinistrés. Le plus insupportable était l'argumentation de la mairie: elle affirmait, sans complexes, que tout était réglé, que tous les sinistrés avaient été dédommagés, en un mot qu'elle pouvait sabler le champagne avec la satisfaction du devoir accompli.

Insupportable, car les sinistrés vivaient une situation où les plus pauvres avaient été abandonnés à leur sort. Pire, concernant le bâtiment B de la Cité du Parc, la mairie de Toulouse a utilisé le drame AZF pour ajouter, au traumatisme de l'explosion, le traumatisme de l'évacuation musclée par les CRS, puis du déracinement de relogements provisoires en relogements provisoires. Deux ans après, les ex-habitants de ce bâtiment sont dispersés, pour moitié aux quatre coins de France, en ayant tout perdu, dans des déménagements qui n'ont pas été faits correctement, et avec des dédommagements qui ont été établis sur la base de ce qui a été cassé, alors que c'est la totalité qui a été perdue.

Prise la main dans le sac, la mairie a dû faire machine arrière, et mettre en place de nouvelles procédures, les plus complexes possible, pour que les sinistrés puissent réclamer leur dû. Bien qu'une publicité minimum ait été faite, les permanences ont été prises d'assaut, et la police est intervenue à deux reprises, d'abord à la mairie de quartier de Bagatelle, puis à celle de la Faourette. Rien que cela dément les affirmations de la mairie qui dit "que tout est désormais réglé pour les sinistrés". Le week-end dernier, les associations de sinistrés ont organisé plusieurs manifestations pour faire savoir publiquement leur drame. Samedi 20 septembre, un village associatif a proposé débats et expositions. Une exposition sur la Cité du Parc a été particulièrement lue, et nombreux étaient les visiteurs qui, bien que sensibilisés et sinistrés eux-mêmes, découvraient là l'étendue de la catastrophe.

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