Grande-Bretagne : Quand le profit disjoncte05/09/20032003Journal/medias/journalnumero/images/2003/09/une1831.jpg.445x577_q85_box-0%2C104%2C1383%2C1896_crop_detail.jpg

Dans le monde

Grande-Bretagne : Quand le profit disjoncte

Lorsqu'au plus fort des chaleurs de l'été New York avait été plongé dans le noir par une panne d'électricité, Ofgem, l'office britannique chargé de réglementer le fonctionnement du réseau électrique privatisé britannique, avait publié un long communiqué claironnant en substance: «Jamais ça n'arrivera ici».

Eh bien, c'est arrivé! Le 28 août, à 18h25, à l'heure de sortie des bureaux, la moitié de Londres, la totalité du métro et une partie du réseau ferré de banlieue ont été privés de courant.

La panne n'a duré que 45 minutes. Elle a provoqué un chaos colossal, qui a duré bien plus longtemps, soulignant l'incurie des autorités. Dans le métro, l'éclairage de secours s'est révélé défaillant sur une partie du réseau. Des dizaines de milliers de passagers ont dû gagner la surface en trébuchant le long des voies, guidés par une lointaine lampe de poche. Sur le réseau ferré banlieue, la panne n'a affecté que la signalisation. Mais cela a suffi à immobiliser les trains, bloquant les passagers dans les rames, parfois jusqu'à 23h, parce que le rail d'alimentation électrique étant resté sous tension, ils ne pouvaient descendre sur la voie.

Tout semble être parti de la défaillance de l'un des deux transformateurs haute tension alimentant le métro londonien. Après sa mise hors circuit, le métro s'est mis à «pomper» toute son électricité sur le seul transformateur restant qui, n'ayant pas la capacité nécessaire pour faire face à la demande en heure de pointe, est tombé à son tour en panne. La chute de consommation brutale causée par l'arrêt du métro a alors entraîné une réaction en chaîne dans les dispositifs de sécurité, causant en particulier l'arrêt de l'alimentation domestique et urbaine dans la moitié sud de Londres.

Malgré les dénégations du gouvernement Blair, le volant de sécurité dont dispose l'électricité en Grande-Bretagne, secteur qui a été privatisé en 1990, s'est réduit comme peau de chagrin au cours des dernières années.

Il y a un an, dans le cadre de la préparation à la privatisation des infrastructures du métro londonien, le gouvernement a fermé la centrale électrique autonome qui en assurait l'alimentation, sous prétexte que sa maintenance était trop coûteuse. Bientôt des résidences de grand luxe s'élèveront sur son site. Or, si cette centrale n'avait pas été fermée la panne du 28 août n'aurait pas eu lieu.

La responsabilité d'assurer la fourniture en électricité du métro est donc retombée sur les entreprises privées contrôlant l'alimentation du Grand Londres, qui n'ont pas jugé bon de faire les investissements nécessaires pour protéger la sécurité du réseau contre l'impact d'une augmentation de consommation aussi importante, ni même de tester la fiabilité de leurs installations face à une défaillance de ce type. D'où le phénomène de réaction en chaîne qui s'est produit le 28.

Les carences en matière d'investissements et de maintenance vont bien au-delà encore. Sur le plan de la maintenance, elles sont illustrées par le fait que National Grid, la compagnie privée qui assure la répartition de l'électricité et la transmission à haute tension dans l'ensemble du pays, a réduit ses effectifs de maintenance de moitié en dix ans. Quant au manque d'investissement, il est reflété par le fait que l'excès des capacités de production d'électricité par rapport aux besoins moyens est passé de 25% à 16% au cours de l'année écoulée. Ce dernier phénomène étant dû à la fermeture de centrales privatisées, sous prétexte de rentabilité insuffisante.

Et encore cet «excès» de 16% est-il trompeur. Car il inclut les générateurs de secours des grands centres hospitaliers qui, depuis quelques années, ont été encouragés par Blair à vendre de l'électricité aux compagnies de distribution privées, afin de générer des revenus destinés à compenser l'insuffisance de leur budget. C'est ainsi que, le 28 août, plusieurs hôpitaux londoniens se sont trouvés sans alimentation de secours parce que leurs générateurs avaient disjoncté avec l'ensemble du réseau. On n'ose penser au sort des patients qui ont eu le malheur de se trouver sur le billard ou sous une tente à oxygène à ce moment-là !

Le comble de l'ironie, c'est que c'est cette pagaille criminelle que les politiciens comme Blair, et ses prédécesseurs conservateurs qui furent à l'origine de la privatisation de l'électricité en particulier et des services publics en général, osent présenter comme un «progrès» pour la société. Pour les gros actionnaires des compagnies privatisées, c'en est un sans aucun doute (ou tout au moins pour leur compte en banque), mais pour l'écrasante majorité de la population cela représente une véritable régression sociale.

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