Le Larzac, nouvelle terre promise ?14/08/20032003Journal/medias/journalnumero/images/2003/08/une1828.jpg.445x577_q85_box-0%2C104%2C1383%2C1896_crop_detail.jpg

Tribune de la minorité

Le Larzac, nouvelle terre promise ?

Terre promise, encore faut-il savoir à qui elle l'est.

Plus de 200000 personnes ont ainsi convergé sur le plateau du Larzac et ovationné José Bové, héros de la fête. Une foule composée -comme toute la presse l'a relevé- d'hommes et de femmes d'horizons sociaux divers, jeunes, petits paysans, enseignants, intermittents du spectacle, travailleurs du public ou du privé, «rassemblement de toutes les contestations» comme ont choisi de le caractériser la plupart des commentateurs. Toujours est-il que l'ensemble n'a pas été sans travailler quelque peu les pouvoirs en place. Ni sans amener les dirigeants politiques de gauche comme de droite, à éviter de faire les frais, de ce qui apparaît clairement comme une expression de mécontentement. Voire au contraire de tenter d'en récupérer ce qui peut l'être.

Pour Chirac, ses chantres ou ses serviteurs, en interprétant l'hostilité à une certaine mondialisation comme un appui à ses tentatives de se faire passer pour un chef de la contestation à l'impérialisme américain dominant. Pour les dirigeants de la gauche -contraints l'an dernier d'abandonner tous les rênes du pouvoir, se débattant maintenant pour garder leurs sièges aux prochaines élections- en voulant y voir la preuve du discrédit de la droite et le prélude à leur éventuel retour aux affaires.

Reste à comprendre ce qui a permis, ne serait-ce que le temps d'un week end, de fédérer tout ce monde aux aspirations apparemment diverses. Il existe bien évidemment des raisons de s'unir entre le petit agriculteur ou éleveur qui travaille et essaye de faire survivre son entreprise et sa famille, l'enseignant qui rencontre de plus en plus de difficultés à assurer sa mission et à qui on va prolonger la carrière en réduisant sa retraite, l'intermittent du spectacle de plus en plus précaire et de moins en moins indemnisé, le jeune qui voit son avenir d'autant plus bouché par le chômage que la déferlante des licenciements connaît encore une inflexion à la hausse, le travailleur du public ou du privé confronté lui aussi et en premier aux attaques gouvernementales sur les retraites et sur la sécurité sociale. Mais l'ennemi commun à combattre n'a pas vraiment été désigné par José Bové au Larzac.

Les sommets rassemblant les chefs d'État les plus puissants et des organismes comme l'OMC ne sont certes pas innocents et les décisions qui y sont prises -quand décisions il y a et quand elles sont appliquées- n'ont d'autres objectifs que d'enrichir les plus riches. Les révolutionnaires ne peuvent donc que se réjouir que nombreux soient ceux qui en prennent conscience et le dénoncent en manifestant. Mais pas plus que Seattle, Porto Alegre ou Gênes, Cancùn n'est la Mecque des opprimés du monde entier. Lesquels disposent, heureusement, de bien d'autres moyens et occasions que ces rassemblements périodiques pour contrecarrer et faire plier leurs exploiteurs et oppresseurs. Encore faut-il que soit clairement désigné l'ennemi à combattre: les capitalistes, leur système et les gouvernements qui sont à leur service quelles que soient les étiquettes dont ils se parent. Un ennemi que le vague objectif de «l'altermondialité» n'aide pas à mettre en pleine lumière.

Pas étonnant dans ces conditions que nombre de politiciens de gouvernement, à l'image ternie par leur présence au pouvoir ou le souvenir de leur passage, cherchent à utiliser les mobilisations du style de celle du Larzac ou Cancùn pour les récupérer à leur profit.

Le problème n'est pas de savoir si José Bové va se transformer de «syndicaliste paysan» en homme politique, tête d'une liste aux prochaines élections intégrant des candidats de l'ex-gauche plurielle. Puisqu'il affirme que tel n'est pas son but et qu'il se présente toujours comme un partisan de «l'autonomie du mouvement social», pourquoi ne pas croire en sa sincérité au moment où il le dit ? Savoir ce qu'il fera à l'avenir si la demande devient plus pressante, quand il ne sera plus le dirigeant de la Confédération paysanne, dont il doit démissionner en avril 2004 comme il vient de l'annoncer, est encore autre chose. Le plus important pour les travailleurs n'est pas de faire un pronostic en la matière. Il importe par contre qu'ils ne soient pas dupes des visées des partis qui se bousculent pour proclamer ostensiblement leur soutien au leader de la Confédération paysanne: tous ces dirigeants de la gauche gouvernementale, Parti Communiste Français, Verts ou autres écologistes, et Parti Socialiste lui-même -en dépit du démontage de leur stand au Larzac par des militants du DAL-, tous espèrent avancer derrière José Bové, sous le drapeau de «l'altermondialisation», et se refaire une virginité... pour revenir au pouvoir afin d'y mener la même politique que par le passé. Ni José Bové, ni Attac ne se démarquent jusque-là vraiment de ceux-là.

Quant à mener dès septembre une offensive de tous les salariés contre les projets du gouvernement en matière de retraite, sécurité sociale, lutte contre les licenciements, lutte pour les salaires, bien sûr que c'est souhaitable. Mais les travailleurs intéressés pourront ni moins ni plus -compter sur le «syndicaliste paysan» José Bové, qu'ils n'ont pu le faire au printemps dernier, où l'appui réel qu'ils ont trouvé fut celui de camarades de leur milieu de travail qui en avaient pris l'initiative, militants ou travailleurs combattifs. L'appui moral de José Bové ne leur est sans doute pas indifférent, mais il ne peut changer grand-chose à la température de la rentrée sociale.

Au printemps dernier, les militants d'extrême gauche n'avaient pas été les derniers à mener le combat et avaient joué leur rôle dans cette mobilisation. S'ils veulent peser de tout leur poids dans les luttes à venir, ils auront à coordonner autant que possible leurs efforts et proposer des objectifs communs à tous les travailleurs. Indépendamment et sans attendre les prochaines campagnes électorales, qu'ils s'y présentent ensemble ou séparément.

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