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- Lutte ouvrière n°1824
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Leur société
Un livre d’Eva Joly sur la justice et les affaires : "Est-ce dans ce monde-là que nous voulons vivre ?"
Eva Joly n'est pas une révolutionnaire. Elle a été pendant des dizaines d'années juge. Mais sa prise de conscience et sa révolte ont été façonnées au travers des difficultés qu'elle a rencontrées en instruisant pendant huit ans l'affaire Elf, le plus grand scandale financier de l'histoire récente en France.
"Ce monde" que dénonce Eva Joly s'est illustré à l'occasion de la sortie de son livre qui a été interdit à la vente pendant la durée du procès Elf.
Partant de son expérience, Eva Joly met en évidence, de façon simple et directe, toute une partie des tares du système étatique, social et politique. Les réseaux multiples qui lient le monde des affaires, la classe politique, les sommets de l'appareil d'Etat, administratif, judiciaire, militaire et policier.
D'une révélation anodine sur l'argent donné par Elf à une société du groupe Bidermann, Eva Joly va mettre au jour comment fonctionnait la plus riche entreprise du pays. Corruption, pots-de-vin, fausse trésorerie, faux bilans, toute une partie de la haute société française est plus ou moins impliquée: ses "élites" économiques et politiques, président de la République, ministres de gauche comme de droite, président du Conseil constitutionnel, etc. Les plus hautes instances de l'appareil d'Etat protègent la grande corruption.
Les difficultés de plus en plus grave que rencontra Eva Joly ont pour seule raison, qu'elle a refusé de considérer ces dirigeants économiques et politiques comme étant au-dessus des lois. Et en ce sens, avec quelques autres juges, peu nombreux il faut le dire, elle a été une exception.
Elle n'a pas "joué le jeu". Du coup c'est elle qui s'est retrouvée sous surveillance. Elle était en permanence sur écoute. Ses investigations étaient parfois connues immédiatement par ceux sur qui elle enquêtait. Son bureau au sein du Palais de justice, fut plusieurs fois cambriolé, l'appartement de son greffier aussi. Des pièces ont été volées dans les bureaux de la brigade financière. La police a eu connaissance de "contrats", visant à la faire supprimer par des tueurs. Un général est venu l'avertir que si son enquête avait débordé sur les trafics d'armes "dans ces cas-là on ne lui donnait pas 48 heures à vivre". Une partie du haut appareil judiciaire l'a soutenue par esprit de corps. Mais a contrario, une autre partie a freiné. A plusieurs reprises Elf, Roland Dumas et d'autres furent avertis avant son arrivée pour perquisition, et du coup pouvaient mettre à l'abri ce qui était le plus compromettant. L'enquête a aussi révélé des virements douteux à destination de rédacteurs en chef et de journalistes de renom.
Eva Joly dit avoir perdu ses illusions et sa candeur au long de ces années. Elle voudrait un système tempéré et civilisé et milite pour la mise en place d'une législation internationale permettant le contrôle et la transparence, qui permettrait de mettre fin à la grande corruption. Elle reconnaît que ce n'est pas dans l'air du temps. Au contraire puisqu'en France, en Italie, en Suisse, on change la loi pour légaliser les délits d'hier.
Là où Eva Joly et ses amis se trompent c'est en espérant qu'il serait possible de moraliser un système organisé pour l'enrichissement de ceux qui sont déjà les plus riches à n'importe quel prix. Cette vérité, ce sont les dirigeants des grandes entreprises et le haut appareil politique qui le lui ont expliqué: les lois sont faites pour eux et pas contre eux.
La grande corruption fait partie de ce système d'exploitation capitaliste, tout comme le secret des affaires, le secret commercial et bancaire, qui permettent les coups fourrés et tordus, à l'encontre de la collectivité. Les dirigeants de ce système n'accepteront jamais d'eux-mêmes de lever le voile sur la vraie nature de leurs comptes et les montages qui leur servent à les cacher.
Le mérite du livre est qu'il nous permet de juger une part de la vérité qu'on essaie habituellement de cacher. Et ce n'est déjà pas mal.