Affaire Elf et entraves à la justice19/06/20032003Journal/medias/journalnumero/images/2003/06/une1820.jpg.445x577_q85_box-0%2C104%2C1383%2C1896_crop_detail.jpg

Leur société

Affaire Elf et entraves à la justice

Eva Joly, qui avait été chargée du dossier Elf, publie un livre qui éclaire certains aspects d'une instruction qui a duré huit années semées "d'entraves à la justice" en tout genre. Les bonnes feuilles que la presse a publiées en avant-première font penser à des romans policiers: sauf que, cette fois, la réalité dépasse la fiction.

La juge Joly relate par le menu le non-soutien de sa hiérarchie et rapporte les menaces de mort qu'elle a reçues: celles écrites déposées dans son bureau (plusieurs fois cambriolé, alors qu'il est au siège de la Brigade financière!); les messages lui rappelant le sort du juge Renaud, exécuté par des tueurs en 1973; la nécessité d'une "protection [policière et armée] ultra-rapprochée, 24 heures sur 24". D'une certaine façon, elle aurait même eu de la chance: un général "de très haut rang" lui aurait déclaré crûment que ce serait "une autre histoire si vous [quittiez] le milieu du pétrole pour approcher de celui des ventes d'armes. Chez nous, il n'y a pas d'avertissement. Si vous commencez à enquêter, je vous donne 48 heures..."

Elle raconte qu'elle a été filée et surveillée par ceux sur lesquels elle enquêtait. Ses communications téléphoniques étaient sur écoute. Un jour qu'elle interrogeait Tarallo, PDG d'Elf-Gabon, elle découvrit que cette audition était enregistrée, bien sûr à son insu. Et puis, il y avait les pièces de dossier subtilisées, le fait que des suspects haut placés (et tous l'étaient plus ou moins) étaient informés des perquisitions projetées, de l'avancement de l'enquête.

Eva Joly s'avance quand elle écrit que "le dossier Elf est le premier qui s'approche de la République occulte", car il n'est pas le seul ni le premier du genre. Il suffit de rappeler l'enquête du juge Halphen sur l'affaire des HLM de la Ville de Paris, il y a une dizaine d'années. Ce juge a décrit dans un livre, concernant ses difficultés à faire son métier, comment "on [avait] utilisé à [son] encontre tous les moyens possibles et imaginables pour [le] déstabiliser" et le dessaisir. Les filatures, la mise sur écoute de son téléphone, les interventions ministérielles, la manipulation d'un membre de sa famille pour le compromettre, etc. Entravée, vidée de son contenu par différents artifices, cette instruction mettant en cause Chirac, Juppé et quelques autres du même acabit n'a toujours pas donné lieu à un procès.

Dans l'affaire Elf, on retrouve les mêmes ingrédients: les affairistes de haut vol, des réseaux politiques et policiers (ici, plus ceux liés au PS que les autres, encore que...) ainsi que "les officines peu recommandables", dit Eva Joly, et des personnages politiques de premier plan. À commencer par Mitterrand qui, après son élection en 1981, aurait veillé à ce que les "bonnes affaires" d'Elf ne profitent pas, comme avant, aux seuls partis de droite. On y croise d'autres hauts personnages de l'État, tel Roland Dumas, ex-ministre de Mitterrand.

Eh oui, qu'il soit de droite ou qu'il se dise de gauche, ce petit monde des grands serviteurs de l'État se serre les coudes quand ses agissements nauséabonds risquent d'apparaître au grand jour. Des agissements que pas grand-chose ne distingue de ceux du grand banditisme, sauf une question d'échelle.

Ainsi, saura-t-on jamais combien de milliards ont été détournés dans l'affaire des HLM ou dans celle d'Elf? Et cela, non pas par quelques comparses, mais par des personnalités du monde politique qui, sous la droite comme sous la gauche, ne cessent de dire que l'argent manque pour les services publics, pour les retraites, les salaires, la Sécu, et que la population laborieuse devrait encore et toujours se serrer la ceinture!

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