Allocution d'Arlette Laguiller, samedi 7 juin (extraits) : - Vive la grève!12/06/20032003Journal/medias/journalnumero/images/2003/06/une1819.jpg.445x577_q85_box-0%2C104%2C1383%2C1896_crop_detail.jpg

Divers

Allocution d'Arlette Laguiller, samedi 7 juin (extraits) : - Vive la grève!

(...) "Je suis particulièrement heureuse de vous accueillir dans cette période où l'importance et la diversité des mouvements sociaux sont déjà une réponse majeure au gouvernement. (...)

Même si le gouvernement, aidé par certains médias complaisants, cherche systématiquement à minimiser la mobilisation, les grèves et les manifestations continuent... Le mouvement suit son cours à des rythmes différents suivant les villes et les régions, mais on peut dire que tout le pays est touché... Il ne s'est pas, ou pas encore, étendu à toutes les entreprises privées, mais la participation des travailleurs d'entreprises privées aux manifestations du 3 juin témoigne du soutien de ceux du secteur privé à l'égard du mouvement... Et ceux qui sont en lutte pour empêcher le gouvernement de reculer l'âge de la retraite et de diminuer les pensions représentent bien plus les millions de travailleurs de ce pays que la coterie politique au service des privilégiés qui soutient le projet gouvernemental. (...)

Beaucoup de ceux qui sont ici, à cette fête, ont participé aux manifestations successives qui ont jalonné la mobilisation. Et nombreux sont aujourd'hui, sur cette pelouse, les enseignants, les postiers, les cheminots, les travailleurs de la RATP, qui sont en grève, et je les salue particulièrement.

Ils savent tous que la réforme Raffarin-Fillon est une infamie... Le gouvernement prétend que son projet est inévitable pour combler le déficit des caisses de retraite. Mais c'est un mensonge grossier. Les caisses de retraite ne sont pas en déficit. Même d'après les prévisions gouvernementales, qui valent ce que valent celles des cartomanciennes, il n'y aura de déficit que dans dix, voire vingt ans.

Mais quand bien même cela arriverait, si cela arrive, il n'y aurait aucune raison que, pour épargner les revenus du capital, on impose aux salariés de cotiser plus longtemps, et cela pour toucher dans tous les cas une pension plus faible. Si les cotisations des salariés en activité ne suffisent plus pour payer la retraite des anciens, c'est à cause du chômage, des licenciements collectifs dont les seuls responsables sont les patrons! C'est à cause des salaires insuffisants, à cause de la précarité, dont les travailleurs sont les victimes, et pas les responsables!

Alors, c'est aux patrons de payer! A commencer par une augmentation des cotisations patronales!

(...) Évoquer seulement l'évolution démographique en invoquant le nombre croissant de gens âgés par rapport au nombre d'actifs est une manipulation statistique grossière et réactionnaire car elle ne tient aucunement compte de l'évolution de la productivité et de l'accès aux résultats de cette augmentation.

Un nombre plus limité d'actifs devrait assurer le financement d'un nombre plus élevé de retraités? Et alors?

Pendant le demi-siècle passé, le nombre de paysans a été divisé par six. C'est-à-dire que, sur cent paysans en 1950, il en reste 16 ou 17 aujourd'hui. Mais, non seulement ceux qui restent nourrissent aujourd'hui toute la population, qui pourtant s'est considérablement accrue, mais il y a même une surproduction agricole.

Et il en va ainsi, et plus encore, dans la production industrielle où le même nombre d'ouvriers fabrique cinq fois, dix fois plus d'automobiles, de réfrigérateurs, d'articles ménagers, d'objets de toutes sortes, qu'il y a un demi-siècle.

Alors, comment oser prétendre qu'un nombre plus faible d'actifs ne pourrait pas assurer une retraite convenable à un nombre plus grand de retraités? (...)

Qu'est-ce que ces ministres, ces vulgaires laquais du grand patronat qui, du haut de leurs postes, décrètent qu'un ouvrier sur chaîne, une caissière, un enseignant se consacrant à ses élèves, peuvent et doivent travailler pendant 40 ans, 42 ans de leur vie, jusqu'à 65 ans, et au-delà?

Et puis ils nous offrent des moyennes d'espérance de vie. Mais, est-ce que l'espérance de vie d'un ouvrier du bâtiment ou de Citroën est la même que celle des collègues du baron Seillière? Ces derniers peuvent parfois se crasher dans un avion privé, mais le risque en est plus faible que pour les travailleurs des industries classées Seveso de mourir dans une explosion.

Le gouvernement de droite, qui dirige ce pays depuis un an, a reçu le soutien d'un certain nombre de dignitaires du Parti Socialiste, de Rocard à Charasse, en passant par Delors. Ils affirment qu'ils voteraient sans hésitation le projet Raffarin-Fillon. Mais ils ne font que dire tout haut ce que la direction du Parti Socialiste pense tout bas. Cette dernière ne fait mine de s'opposer au projet que pour redorer un peu le blason de son parti qui, pendant les cinq ans qu'il a été au gouvernement, a servi obséquieusement les intérêts du grand patronat. D'ailleurs, pendant les cinq ans que le Parti Socialiste a dirigé le gouvernement, il n'est pas revenu sur les lois Balladur qui avaient imposé les 40 ans de cotisation aux travailleurs du privé, au lieu des 37 ans et demi qui étaient en vigueur. Et rappelons aussi que le projet sur les retraites que Raffarin et Fillon sont en train d'appliquer a été préparé par les ministères de Jospin et sous sa responsabilité. (...)

Alors, ce qui inquiète le plus le gouvernement, c'est que le mouvement a tendance à se généraliser et, surtout, qu'il a tendance à réunir les travailleurs de différentes catégories et de différents statuts, ceux du public et ceux du privé, dans un seul mouvement de protestation.

Un des aspects les plus prometteurs du mouvement, pour les luttes en cours comme pour les luttes futures, est que les postiers, les cheminots, les enseignants essaient de convaincre non seulement les travailleurs de leurs propres catégories mais aussi ceux des autres, de se joindre au mouvement.

Oui, c'est une bonne chose que des postiers en grève aillent vers les travailleurs d'une entreprise privée ou que des enseignants aillent vers les cheminots ou vers les agents de la RATP. Oui, c'est une bonne chose que se tissent ainsi des liens entre les uns et les autres et que, progressivement, se forge la conscience commune que les travailleurs ont tous les mêmes intérêts.

Pour empêcher cette conscience commune de prendre corps, le gouvernement utilise tous les stratagèmes visant à dresser les travailleurs les uns contre les autres. Il essaie de présenter les travailleurs du secteur public comme des privilégiés simplement parce qu'ils bénéficient de la retraite après 37 ans et demi de cotisation. Mais il oublie de rappeler que c'est Balladur qui a introduit cette inégalité. Il suffit d'annuler les mesures Balladur pour qu'il n'y ait plus de privilèges, chaque travailleur ayant le droit de partir à la retraite après 37 ans et demi de cotisation.

Les ministres font mine de s'étonner que les travailleurs de la SNCF ou de la RATP, qui ne sont pas concernés aujourd'hui par le plan Raffarin-Fillon, réagissent quand même. Comme s'il n'était pas évident que, si le gouvernement parvient à imposer de force son plan, tout le monde sera victime, tôt ou tard! Et, de plus, n'en déplaise à tous ces ministres qui prennent les travailleurs pour des imbéciles, un cheminot ou un travailleur de la RATP a un conjoint ou des enfants qui travaillent dans d'autres secteurs, et les coups que ceux-ci reçoivent frappent toute la famille!

Eh bien, c'est précisément ce qui inquiète le gouvernement qui doit nous encourager à continuer et à renforcer le mouvement. La tentative de nous diviser entre travailleurs du public et travailleurs du privé doit nous conforter dans la conviction que c'est en réagissant en tant que travailleurs, tous ensemble, que nous avons une chance réelle de le faire reculer. (...)

Ces gens-là osent traiter d'égoïstes ceux qui refusent les projets antiouvriers du gouvernement.

Vous ne les entendez jamais traiter d'égoïstes ces patrons qui décident, dans le secret de conseils d'administration composés de quelques individus, de fermer une entreprise ou de la délocaliser, simplement parce que cela leur rapporte un peu plus, même lorsque cela se traduit par des drames pour des centaines d'ouvriers et par une catastrophe pour toute une région.

Jamais vous ne les entendez traiter d'égoïstes ces gros actionnaires, ces grands bourgeois qui gagnent en une heure le salaire mensuel d'un smicard, sans rien faire de leurs dix doigts.

Vous ne les avez pas entendus traiter d'égoïste Seillière lorsqu'il a retiré ses capitaux d'Air Liberté, provoquant ainsi la faillite de cette compagnie!

Non, pour ces gens-là, les égoïstes, ce sont toujours les ouvriers exploités, opprimés, les salariés mal payés, lorsqu'ils osent se défendre!

Eh bien, même s'ils déversent à la télévision et à la radio des tombereaux d'injures sur les grévistes, ce sont ceux qui luttent qui représentent la légitimité. La légitimité de ceux qui travaillent, de ceux qui créent les richesses, de ceux qui font vivre ce pays!

Et leur combat, notre combat, est légitime parce qu'il va dans le sens des intérêts des millions de travailleurs de ce pays." (...)

Partager