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Turquie - Après le tremblement de terre : Des balles pour la population sinistrée
176 morts, plus d'un millier de blessés, tel était le bilan fourni par le préfet de Bingöl, en Turquie, quelques jours après le tremblement de terre qui a secoué la région dans la nuit du 30 avril au 1er mai. Une fois de plus, cette région de l'Est anatolien paye un lourd tribut à un séisme. Mais celui-ci est d'autant plus lourd du fait des négligences criminelles dans la construction.
Dans le village de Celtiksuyu, à 12 kilomètres de Bingöl, un pensionnat accueillant des enfants venus de tous les environs s'est écroulé au milieu de la nuit. 84 enfants sont restés sous les décombres de leur dortoir effondré. Il ne s'agissait pas d'une construction ancienne, puisqu'elle avait été achevée il y a cinq ans à peine. Mais de toute évidence, malgré la sismicité bien connue de toute l'Anatolie, elle avait été faite en dépit de toute norme antisismique. Pire même, les constructeurs avaient économisé sur les matériaux, édifiant un véritable château de cartes qui ne pouvait résister aux secousses.
Ce nouveau tremblement de terre soulève donc encore une fois un scandale, comme lors de celui d'août 1999 qui avait secoué la région d'Izmit, à l'est de la mer de Marmara et non loin d'Istanbul. Là encore, le bilan du séisme, qui était de 17000 morts, avait été considérablement alourdi par les négligences des promoteurs. De très nombreux immeubles n'avaient pas résisté du fait des économies réalisées pour augmenter leurs profits: murs minces comme du papier, ciment surchargé en sable, etc.
Non seulement les constructeurs sont bien souvent des margoulins sans scrupules, mais les autorités sont complices, quand elles ne sont pas tout simplement corrompues, des responsables encaissant les pots-de-vin des entrepreneurs disposant des marchés. On le voit à propos des établissements scolaires, et le pensionnat de Celtiksuyu n'est bien sûr pas une exception: des dizaines d'autres établissements du même type ont été construits dans la même région avec, sans doute, pas plus de précautions.
Mais pire encore, la population de cette région à majorité kurde a pu constater dès le lendemain du séisme que, si elle n'avait pas droit aux attentions des autorités pour la construction des établissements scolaires, elle pouvait avoir droit très vite aux balles de l'armée. Le 2 mai en effet, les militaires ont tiré sur la foule en colère qui, à Bingöl, manifestait face à la préfecture pour réclamer des tentes.
Les soldats, selon leurs déclarations, auraient pris peur et tiré en l'air pour disperser la foule. Ils ont pourtant tiré suffisamment en direction des manifestants pour faire parmi eux des blessés, et peut-être des morts. Le gouvernement a dû limoger le chef de la police de la ville.
Bingöl n'est qu'à 150 kilomètres de la capitale du Kurdistan de Turquie, Diyarbakir, et toute la région reste quadrillée étroitement par l'armée. La guerre en Irak a encore accru la tension: depuis des mois l'armée turque a massé des centaines de milliers de soldats à la frontière irakienne, prêts à intervenir au cas où les Kurdes de l'autre côté montreraient trop de velléités d'indépendance. Et on le voit, si l'armée turque n'est pas intervenue en Irak -ou pas encore-, elle est par contre prête à réagir au moindre geste de protestation de la population du côté turc, au moment où elle devrait être la première à se mobiliser pour secourir les sinistrés.
Mépris total de la population quand il s'agit de construire maisons et écoles; soldats et policiers prêts à tout moment à appuyer sur la gâchette: voilà le visage donné par le régime turc à l'occasion de ce tremblement de terre. Un visage face auquel les discours du Premier ministre "islamiste modéré" Recep Tayyip Erdogan, en place depuis six mois, apparaissent plutôt comme des démonstrations d'impuissance.