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Dans le monde
Irak : Le sale visage de l'occupation militaire
Treize morts et plus d'une dizaine de blessés: ce serait le résultat de la fusillade qui s'est produite lundi 28 avril à Fallouja, une petite ville irakienne non loin de Bagdad. Les soldats américains ont tiré sur une foule de manifestants. Selon leurs déclarations, ils se seraient "sentis menacés", alors que les témoins irakiens affirment qu'ils ont tiré de sang-froid quand rien ne les menaçait.
Deux jours auparavant, c'est dans un faubourg populaire de Bagdad, à Zafaraniyra, que l'explosion d'un dépôt de munitions a fait au moins six morts. L'état-major américain affirme qu'un engin incendiaire a été lancé sur le dépôt. Mais les habitants, eux, mettent en cause les destructions de munitions auxquelles procèdent les soldats, sans précaution particulière alors que ce dépôt se trouve au beau milieu des habitations. Ainsi des tirs de missiles se sont déclenchés au hasard, l'un d'eux venant exploser sur des maisons habitées.
Dans un cas comme dans l'autre, les faits ont déclenché des manifestations contre la présence américaine, visiblement de plus en plus pesante pour la population. Malgré tous les discours des dirigeants américains sur le rétablissement de la "démocratie", les Irakiens ont tous les jours des occasions de constater que les forces armées d'occupation se soucient fort peu de la population et sont même prêtes, à la moindre occasion, à tirer et à tuer.
"ils ne sont pas là pour nous"
Oui, c'est bien un régime d'occupation qui s'installe en Irak et la population semble en faire rapidement l'expérience. Elle a vu, au moment des bombardements et de l'offensive militaire, quel peu de cas l'état-major mais aussi bien souvent les soldats eux-mêmes faisaient de la vie des Irakiens. Aujourd'hui encore, on voit qu'il en faut bien peu aux soldats pour qu'ils s'affirment "menacés" et tirent sur la foule. Pour le reste, les pillages, l'absence de sécurité qui perdure, la lenteur avec laquelle reviennent l'eau, l'électricité, les services essentiels et bien d'autres faits quotidiens sont là pour témoigner que le souci de l'armée des prétendus "libérateurs" est de contrôler militairement l'Irak et ses richesses, au mépris de la population et de ses intérêts. "Ils ne sont pas là pour nous" disait ainsi à un journaliste, en rejoignant son poste de travail pour la première fois après la guerre, une employée de ce ministère du Pétrole qui a été l'objet, à leur arrivée à Bagdad, de l'attention exclusive des forces américaines.
Bien sûr, les dirigeants américains continuent de proclamer que leur armée restera "le moins longtemps possible"; le temps "d'établir la démocratie" précisent certains. On a aussi vu le chef nouvellement promu de l'administration militaire américaine, le général en retraite Jay Garner, tenir une réunion avec 250 personnes promues "représentants de l'opposition irakienne". Mais il s'est heurté aussitôt aux protestations d'un certain nombre de dignitaires musulmans chiites se plaignant de ne pas avoir été invités, et contestant la représentativité d'une telle assemblée. Quelques jours à peine après une impressionnante démonstration religieuse chiite dans la ville sainte de Kerbala, et même si les notables chiites non invités ne valent sans doute pas mieux que ceux qui l'étaient, cela apparaît en effet comme une curieuse façon de "représenter" la population.
L'occupant militaire cherche évidemment des hommes qui soient immédiatement prêts à servir de paravent pour légitimer l'occupation: l'assemblée de Bagdad rassemblait des chefs de tribus, des dignitaires censés représenter les différentes "communautés", comme si la population irakienne devait avoir nécessairement comme représentants les notables qui estimeront de leur intérêt de soutenir l'administration américaine. Si un gouvernement était mis en place sur cette base, il épuiserait sans doute très rapidement son peu de crédit.
reconstituer...une dictature
Ce dont les dirigeants américains ont besoin en Irak, ce n'est pas d'une "démocratie", c'est d'une autre dictature. C'est en réalité cela qu'ils essaient de remettre en place, en s'appuyant sur les anciens cadres de l'appareil d'État et en tentant de reconstituer ses structures, à commencer par sa police. S'ils y parvenaient, il serait bien temps ensuite de proclamer à sa tête, à la suite d'un simulacre démocratique, un quelconque président faisant l'affaire, c'est-à-dire prêt à se soumettre aux besoins de l'impérialisme. Après tout, Saddam Hussein lui-même a bien fait l'affaire pendant vingt ans, avant qu'il ne commence à être trop peu accommodant au goût de ses maîtres.
Mais c'est bien là que le bât blesse: l'intervention militaire américaine a entraîné aussi l'écroulement de l'autorité. Il n'est pas sûr que les occupants puissent remettre en place rapidement un appareil d'État constitué et cohérent. Ils risquent bien de ne trouver comme appuis que des autorités concurrentes: au nord les milices kurdes, ailleurs celles de divers clans chiites ou sunnites. L'écroulement de la dictature laisse un chaos politique et social, dont les dirigeants américains auront peut-être bien du mal à se sortir. Et l'aboutissement pourrait être non une dictature, mais plusieurs, partageant le pays entre les domaines de plusieurs bandes armées, dirigées par des "seigneurs de la guerre" concurrents.
En fait, pour le moment, les dirigeants américains semblent prendre leur parti de cette situation, qu'ils ont eux-mêmes provoquée. De façon particulièrement cynique, ils limitent leurs efforts à ce qui pour eux est essentiel: ils contrôlent de près les champs pétroliers, les oléoducs, quelques grandes voies de communication. Leurs forces continuent de remettre en état le port d'Oum Qasr de façon que les exportations de pétrole puissent reprendre rapidement, tandis que l'électricité et l'eau continuent de manquer, ainsi que les médicaments et les équipements pour les hôpitaux, sans parler de la nourriture et des aides humanitaires qui n'arrivent pas. Pour les dirigeants de l'impérialisme, l'important est de mettre la main sur les richesses qui les intéressent, tout en mettant le chaos qu'ils provoquent au compte des pertes et profits, d'autant plus facilement que ce ne sont pas eux qui payent.
Ce qui est en train de se préparer en Irak et au Moyen-Orient est peut-être ce qui est déjà la situation de certains pays d'Afrique, ou même celle de l'Afghanistan: des pays livrés à des guerres incessantes entre bandes armées dont la population paye les exactions, tandis que les forces impérialistes tiennent le minimum qu'elles estiment nécessaire pour pouvoir se livrer facilement au pillage des ressources du pays.
Voilà la "démocratie", voilà la "prospérité" que contribuent à amener les forces armées de l'impérialisme. Voilà le visage de ce système d'exploitation qui ne règne sur la planète que par les guerres et les destructions, le pillage des ressources et la misère, la destructuration totale de sociétés où ne règne plus que la loi de la jungle.
Une arrogance, un mépris, un cynisme, que les dirigeants du monde impérialiste devront payer un jour.