Argentine - Élection présidentielle : Une crise qui n'en finit pas30/04/20032003Journal/medias/journalnumero/images/2003/05/une1813.jpg.445x577_q85_box-0%2C104%2C1383%2C1896_crop_detail.jpg

Dans le monde

Argentine - Élection présidentielle : Une crise qui n'en finit pas

Deux candidats issus du parti péroniste s'affronteront au deuxième tour de l'élection présidentielle argentine, dont le premier tour vient de se dérouler le 27 avril. Ce seront Carlos Menem, qui arrive légèrement en tête de ce premier scrutin avec 24%, et Nestor Kirchner (22%). La presse les présente comme "la droite" et "la gauche", ce qui est largement abusif, et de toute façon il est évident que l'un comme l'autre, une fois élus, ne défendront que les intérêts des classes possédantes.

Parmi les dix-neuf prétendants au siège présidentiel, il y avait même un troisième péroniste, outre Menem et Kirchner. Pour la première fois en effet ce parti, où plusieurs clans rivaux s'affrontent, n'avait pu s'entendre sur une candidature unique. Ce troisième candidat était Rodriguez Saa, mis en appétit par sa courte présidence d'une semaine après la chute du président De la Rua en décembre 2001. Il décroche la cinquième place et 14% des voix. Ces trois hommes ont bâti leur carrière à partir de leur situation de notables à la tête d'une province.

Les deux autres candidats arrivés dans le peloton de tête, Lopez Murphy (16,47%) et Elisa Carrio (14,24%), sont des dissidents du Parti Radical, en miettes depuis la chute de De la Rua. Le premier a été ministre dans le gouvernement De la Rua. Il se présentait dans cette campagne comme un partisan d'une économie ultra-libérale et laissait entendre qu'il continuerait de s'en prendre aux employés de l'État. Quant à Elisa Carrio, elle s'est fait connaître en politique en se présentant comme une adversaire de la corruption. Elle s'affiche comme une sorte de démocrate-chrétienne (elle porte en permanence un crucifix très voyant), mais ses prises de position contre l'avortement lui ont certainement aliéné des voix des électeurs de centre-gauche, dont le parti, le Frepaso, a disparu.

Aucun des deux candidats restant en lice ne représente les intérêts des classes populaires. Menem a déjà présidé l'Argentine pendant deux mandats successifs, de 1989 à 1999. Outre les multiples affaires de corruption auxquelles son nom est mêlé, c'est en partie les mesures qu'il a pu prendre en faveur des milieux financiers, argentins et internationaux, notamment la privatisation sauvage des entreprises d'État et des services publics, qui ont conduit à l'effondrement du pays. Mais évidemment, ce n'est pas cette facette de son activité que l'ambitieux Menem, qui n'était pas autorisé par la Constitution à briguer trois mandats successifs, a mise en avant. Il s'est adressé à la partie des électeurs de la classe moyenne qui rêvent d'un retour aux années quatre-vingt-dix, quand le peso, la monnaie argentine, valait un dollar, ce qui avait permis à une partie d'entre eux d'espérer sortir du Tiers Monde et se retrouver à égalité avec le "premier monde". Un rêve qui s'est effondré en décembre 2001.

De son côté, Kirchner est soutenu par Duhalde, qui a assuré l'intérim de la présidence depuis cette date. Se plaçant dans la tradition historique de la démagogie péroniste, il prétend s'adresser aux couches populaires, proposant de défendre "la production, le travail et la stabilité". Son mentor Duhalde a mis à son actif d'avoir réussi à tenir tous ces mois sans qu'il y ait de nouvelle explosion sociale. Pour parvenir à ce résultat, il a repoussé à plus tard, et donc sans doute pour son successeur, plusieurs mesures impopulaires, notamment une hausse attendue des tarifs de l'eau (vendue par Menem à Vivendi), du téléphone (vendu pour moitié à France Télécom) et de l'électricité (en partie bradée à EDF) qui pourrait atteindre 25%.

Autre problème en attente, celui de la dette (151 milliards de dollars), que Duhalde a "suspendue", mais qui doit être renégociée par son successeur. Tous les prétendants étaient d'accord pour essayer d'obtenir non pas son annulation mais son rééchelonnement, ce qui pèsera lourd sur les maigres finances de l'économie argentine, et donc sur la population. Menem, qui s'est dit pour la guerre en Irak alors que 80% des Argentins étaient contre, se distingue aussi en demandant une "rallonge" de la dette!

Les milieux patronaux français qui opèrent sur le marché argentin saluent la gestion de Duhalde, comme le rapporte le quotidien Les Echos: "Sous couvert d'un populisme de parole, Eduardo Duhalde a conduit une politique de répression économique en matière financière, de dépenses publiques, de tarifs publics, de contrôle des changes et de salaires". Ils savent déjà pouvoir compter sur Menem, mais ils pourront très bien s'accommoder de Kirchner, si c'est celui-ci qui est finalement élu. Il a d'ailleurs déjà annoncé que, s'il l'était, il reprendrait comme ministre de l'Économie celui de Duhalde.

La campagne électorale ne semble guère avoir intéressé l'opinion. La très grande majorité des Argentins se débattent dans des difficultés multiples. Le chômage officiel reste de près de 30%, et cela dans un pays où, auparavant, il fallait le plus souvent cumuler deux emplois pour gagner sa vie. La moitié des salariés touchent moins de 500 pesos par mois, alors qu'il faudrait en gagner au moins le double pour faire vivre un peu décemment une famille avec deux enfants. Deux des 3,3 millions de retraités ne reçoivent que 300 pesos par mois (l'équivalent de 100 euros), quand les pensions ne sont pas payées en retard. 63% d'entre eux n'ont aucune couverture sociale, comme la moitié des salariés. Un chiffre donne une idée de la croissance des inégalités: il y a trente ans, l'écart entre les 10% les plus riches et les 10% les plus pauvres était de 1 à 12, il est aujourd'hui de 1 à 28.

La manière forte utilisée par les pouvoirs publics contre les travailleuses de Brukman, évacuées par la police de cette usine textile où elles avait repris la production à leur compte, une semaine avant l'élection, donne en tout cas une idée de ce que les travailleurs peuvent attendre de celui qui l'emportera au deuxième tour, qu'il fasse mine ou pas de parler en leur nom. Plus que jamais, face à la crise, les travailleurs d'Argentine ne devront compter que sur eux-mêmes, comme ils doivent le faire, depuis des mois.

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