- Accueil
- Lutte ouvrière n°1811
- Revers de la médaille du « tout sécuritaire » : Les prisons affichent « complet »
Leur société
Revers de la médaille du « tout sécuritaire » : Les prisons affichent « complet »
Avec Sarkozy aux commandes du ministère de l'Intérieur, on allait voir ce qu'on allait voir. L'insécurité allait être terrassée, le grand banditisme vaincu, le laxisme supposé de ses prédécesseurs enterré. Dans les premiers temps du gouvernement Raffarin, il ne se passait pas un jour sans que le ministre de l'Intérieur aille s'afficher dans les commissariats de France et de Navarre. Que n'avait-il aussi visité les prisons? Lundi 14 avril, le parrain du Var et deux autres truands du milieu varois et marseillais se sont fait la belle de la maison d'arrêt de Luynes, près d'Aix-en-Provence, en s'évadant à l'aide d'un hélicoptère. Après Fresnes et Borgo, c'est la troisième évasion spectaculaire... et un pied-de-nez à l'ambitieux Sarkozy.
Que les détenus aient envie de jouer la fille de l'air, on peut les comprendre en lisant un rapport récent qui fait l'inventaire de la situation des 185 prisons françaises. Avec presque 60000 détenus, c'est le chiffre le plus élevé depuis qu'existent des statistiques pénitentiaires (1852), si on met de côté la situation particulière d'après 1945, une époque où l'on dépassait ce chiffre mais où un tiers des détenus étaient des collaborateurs réels ou supposés des nazis.
La croissance récente de l'emprisonnement remonte à l'automne 2001, quand les policiers ont manifesté contre le «laxisme» supposé des juges qui venaient de relâcher un truand multirécidiviste. Le thème a ensuite fait recette au point de faire passer au second plan celui des licenciements pendant la campagne électorale présidentielle.
Entre 1996 et 2001, la population pénitentiaire avait plutôt tendance à diminuer. En dix-huit mois, elle vient d'augmenter de 25%. Dans les prisons, on compte un trop-plein de 11000 détenus et un taux moyen d'occupation de 121,7%, qui masque en réalité les disparités existant entre les différents établissements: la densité est de 200% dans 18 prisons et de 150% dans 44 autres. Le record semble être atteint à Béziers avec 260%, où 127 détenus se partagent 48 cellules.
Cette dégradation des conditions d'emprisonnement trahit moins l'augmentation du nombre de prisonniers (2200 nouveaux détenus depuis le début de l'année) que l'allongement des peines. En 28 ans, leur durée moyenne a pratiquement doublé. Elle est actuellement de 8,4 mois contre 4,3 mois en 1975. Cela découle de l'allongement des très longues peines (de 20 à 30 ans) sanctionnant des délits comme le viol ou les agressions sexuelles, qui représentent désormais le quart des condamnations.
Les projets actuels de construction de prisons, qui font suite à d'autres programmes du même genre lancés en 1986 et 1995, devraient porter la capacité carcérale du pays à 60000 places en... 2007. En vingt ans, cette capacité aura alors doublé! Les besoins actuels seront satisfaits mais pas les besoins réels si le gouvernement continue de proposer une réponse purement répressive aux multiples maux dont souffre cette société, marquée par des menaces sur l'emploi, les retraites, la santé, l'éducation, et tout simplement l'avenir, au point que la délinquance peut sembler offrir à certains une meilleure solution, ou en tout cas la seule façon de sortir de l'impasse où ils se trouvent.