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Dans le monde
Les avatars sanglants d'une guerre impérialiste
Moins d'une semaine après le début de la guerre impérialiste contre l'Irak, on voit déjà se dessiner le contenu de la boîte de Pandore ouverte par les dirigeants anglo-américains. Par-delà le sang que cette guerre fait déjà couler, parmi la population irakienne, d'abord, mais aussi parmi les soldats qui n'ont pas eu le choix, on voit apparaître des menaces pour l'Irak comme pour la région tout entière.
Les galonnés de l'état-major américain ont dû remballer leurs rodomontades. Plus question de vanter la stratégie dite "choc et horreur" qui devait, selon eux, provoquer l'effondrement du régime de Saddam Hussein. Les porte-parole de Washington font désormais preuve de plus de prudence, comme l'a fait Donald Rumsfeld le 25 mars, en affirmant que la guerre est "plus proche de son début que de sa fin".
Car depuis qu'elles ont franchi la frontière irakienne, les forces d'invasion se sont heurtées dans chaque agglomération à une résistance que ne semblaient pas avoir anticipée les dirigeants de la coalition. Si, comme on le dit, les troupes anglo-américaines sont à moins de 100km de Bagdad, elles ne contrôlent réellement que la bande de désert qu'elles ont empruntée -et encore les généraux américains craignent-ils de voir cette ligne de ravitaillement coupée par une contre-offensive irakienne.
En dehors peut-être du port d'Oum Qasr, dont le Pentagone a annoncé la n-ième "conquête définitive" le 26 mars, les forces de la coalition n'ont réussi à s'emparer d'aucune ville importante. Non seulement les troupes irakiennes ne se sont pas rendues, mais elles semblent avoir résisté pratiquement partout. Ce sont par exemple les 8000 hommes du 51ème régiment blindé irakien, dont l'état-major britannique avait annoncé la reddition dès le 22 mars, qui tiennent en échec les troupes anglo-américaines devant Bassora!
Du coup les forces de la coalition doivent immobiliser des unités entières à Oum Qasr, Bassora, Nasirya, Najaf et Kerbela, autant pour faire le siège de ces villes que pour protéger les arrières des forces d'invasion contre une possible contre-offensive des unités irakiennes. Et cela affaiblit d'autant un dispositif militaire écartelé sur plus de 400 km.
On voit donc s'estomper le "scénario optimiste" qu'espérait sans doute Bush, si l'on en croit ses appels répétés aux généraux irakiens, selon lequel un coup d'État réglerait son compte à Saddam Hussein et offrirait aux USA la collaboration de tout ou partie de l'appareil d'État irakien. Sans doute, ces difficultés n'empêcheront probablement pas la victoire des forces anglo-américaines, ne serait-ce que du fait de leur énorme supériorité en armements et de leur monopole des airs. Mais elles impliquent une guerre bien plus longue et coûteuse en vies humaines, y compris du côté occidental, et par conséquent bien plus difficile à faire accepter à la population américaine.
Car non seulement il faudra que les troupes d'invasion réduisent la résistance de l'armée irakienne, mais il leur faudra aussi écraser toute résistance dans les villes, c'est-à-dire faire le sale travail que Bush senior avait laissé à Saddam Hussein après la première guerre du Golfe. Nul ne peut dire si le "soulèvement" de Bassora annoncé par l'état-major britannique est réel ou s'il relève de l'intoxication. Mais si un tel soulèvement s'est vraiment produit, il est peu probable qu'il accueille vraiment à bras ouverts les troupes qui ont causé tant de dommages en bombardant la population de cette ville d'un million et demi d'habitants après l'avoir privée d'électricité et d'eau potable!
Une victoire anglo-américaine acquise dans de telles conditions risque d'avoir bien d'autres conséquences, y compris et surtout une fois la victoire acquise. Car même si Bush et Blair trouvent dans les rangs de l'opposition irakienne des politiciens prêts à donner leur caution à un tel bain de sang en présidant le régime qui succédera à Saddam Hussein, ce régime ne disposera pas d'un appareil d'État solide pour maintenir l'ordre et dépendra donc totalement des troupes d'occupation occidentales pour cela.
Or comme le montre l'histoire de l'Irak colonial, une telle occupation a toutes les chances de susciter de violentes explosions, que ce soit de la part des minorités nationales ou religieuses qui se seront vues une fois de plus privées de tout espoir (Bush n'a-t-il pas affirmé clairement qu'il n'était pas question de toucher aux frontières de la région?) ou de la part des masses urbaines pauvres, victimes du régime de Saddam comme de l'état de guerre permanent que subit le pays depuis 1991.
Et puis, il y a les contre-coups qu'une telle guerre et de telles explosions pourraient avoir dans les pays arabes voisins. La colère a éclaté ces derniers jours dans les rues du Caire, d'Amman, de Beyrouth et de Damas. Que la guerre en Irak tourne à la boucherie ou soit suivie d'une répression brutale par l'armée américaine, et les populations pauvres de ces pays limitrophes risquent de se retourner contre leurs propres gouvernants, qu'ils haïront d'autant plus qu'ils sont tous plus ou moins compromis avec l'impérialisme américain.
Les dirigeants américains et britanniques sont conscients de ces dangers. C'est pourquoi Bush a répété qu'il tenait à ce que l'ONU joue un rôle dans la "reconstruction" de l'Irak - façon élégante de dire qu'il veut la caution de l'ONU pour l'occupation américaine de l'Irak. C'est aussi pourquoi Blair, qui est bien plus en porte-à-faux que Bush face à son opinion publique, souhaite un retour en piste de l'ONU au plus vite, et si possible avant même la fin du conflit. L'intervention d'une force de Casques bleus de l'ONU, se mettant au service de cette agression impérialiste sous couvert de garantir la paix, comme cela s'est fait tant de fois dans le passé, fera peut-être alors l'affaire de Londres et Washington.
C'est d'ailleurs une manoeuvre à laquelle Chirac lui-même pourrait très bien se rallier, à plus ou moins courte échéance suivant les prétextes que pourraient lui offrir les événements, et moyennant, bien sûr, des garanties pour les trusts français. Comme il l'a déclaré lui-même, la découverte d'armes chimiques en Irak suffirait à lui faire revoir sa position vis-à-vis de la guerre. Et quoi de plus facile que de "découvrir" de telles armes!
C'est dire que, malgré les revers des troupes impérialistes, l'avenir ne s'éclaircit pas pour les masses pauvres irakiennes. Et c'est pourquoi il faut continuer à dénoncer par tous les moyens qui s'offrent et de toutes nos forces, la boucherie qui est en train de se dérouler sous nos yeux.