- Accueil
- Lutte ouvrière n°1808
- Le mythe des"libérateurs" américains
Dans le monde
Le mythe des"libérateurs" américains
Le gouvernement américain proclame qu'il intervient en Irak en libérateur, pour mettre fin à la dictature de Saddam Hussein sur son peuple et instaurer un régime démocratique tout comme, en 1944, il avait libéré l'Europe du régime fasciste qui imposait sa dictature et massacrait les populations. Les commentateurs partisans de la guerre ne manquent pas de reprendre l'argument, voire de reprocher à ceux qui critiquent la politique américaine d'oublier qu'ils doivent leur liberté au sacrifice des soldats américains en 1944-45. Mais il est facile, après coup, d'occulter les circonstances de l'époque, pour ne garder que les images d'Epinal des blindés américains accueillis par les populations. C'est oublier que les Alliés, qui craignaient que ne se produisent des révolutions comme à la fin de la Première Guerre mondiale, n'ont pas manqué eux-mêmes de terroriser les populations par des bombardements massifs des grandes villes européennes. Quant aux gouvernements qu'ils ont portés au pouvoir, leur but était surtout d'empêcher toute révolte des peuples et de leur imposer la poursuite de sacrifices pour remettre sur rails l'économie capitaliste.
Et lorsqu'on rappelle que les USA ont joué un rôle prépondérant au sein de la coalition alliée, de par leur puissance militaire et industrielle, pour vaincre le régime hitlérien, il ne faut pas oublier qu'ils n'ont pas été les seuls, et que ce ne sont pas eux qui ont payé le plus lourd tribut dans cette guerre. Avant le débarquement allié, l'URSS supportait seule tout le poids de la guerre en Europe; elle avait réussi seule à libérer tout son territoire et ses armées gagnaient du terrain en Europe de l'Est. L'essentiel des forces allemandes se trouvaient d'ailleurs sur le front de l'Est et, si le débarquement de juin 1944 en Normandie fut une véritable boucherie, les alliés envoyant plus d'hommes que les armées allemandes n'en pouvaient abattre, ce fut sans commune mesure avec ce qui se passait à l'Est. Le nombre de victimes est là pour l'attester: 300000 morts parmi les forces américaines, contre plus de 20 millions pour l'URSS, civils et militaires.
De plus, force est de reconnaître aussi que la décision américaine d'entrer dans le combat au nom de la défense de la démocratie a été pour le moins tardive, puisqu'elle a été prise fin 1941, après l'attaque japonaise sur Pearl Harbour, alors que le régime fasciste de Mussolini durait depuis vingt ans, qu'Hitler avait pris le pouvoir en 1933 et que Franco écrasait la population espagnole depuis 1936, avec l'aide de ces deux derniers régimes. Pendant toutes ces années, le gouvernement américain s'est fort bien accommodé des régimes de dictature qui frappaient la population, qui interdisaient tous les partis autres que ceux au pouvoir, brisaient les organisations ouvrières. Il n'a rien dit sur l'existence de camps de concentration, rien dit des assassinats d'opposants ni de la terreur exercée contre les peuples.
De même les dirigeants américains se sont-ils tus quand l'Allemagne hitlérienne annexait en 1938 l'Autriche et la Tchécoslovaquie. Dans les sphères dirigeantes, la dictature féroce imposée par Hitler n'était pas vue d'un si mauvais oeil. Le diplomate Joseph Kennedy (le père de l'ancien président) n'était pas le seul à manifester ouvertement ses sympathies prohitlériennes. Il fallut que l'Allemagne devienne une puissance trop menaçante pour ses intérêts, en s'en prenant aux autres puissances impérialistes et en conquérant presque toute l'Europe, pour que l'impérialisme américain y voie un danger à combattre, et décide pour cela de se parer des plumes de la défense de la démocratie.
L'intervention ne s'est pas non plus bornée à lutter contre les armées allemandes. La "libération" a été précédée de bombardements massifs -et pas seulement sur les villes allemandes, telles Hambourg, Berlin ou Dresde, où ne se trouvaient plus que des civils- faisant des centaines de milliers de victimes. Au Japon, avant d'envoyer la bombe atomique sur un pays vaincu, prêt à négocier, les armées américaines avaient aussi systématiquement largué des bombes incendiaires sur Tokyo et les grandes villes du pays. Ce véritable massacre, exercé contre des peuples qui n'étaient nullement responsables des crimes de leurs dirigeants, se faisait au nom de la démocratie, de la lutte contre la dictature... Mais en fait il s'agissait d'une politique de terreur visant les populations civiles, pour les briser et prévenir toute velléité de révolte ou de révolution, comme cela s'était produit à la fin de la Première Guerre mondiale.
À la conférence de Yalta, les trois grandes puissances, USA, Grande-Bretagne et URSS (la France n'y avait pas sa place), avaient proclamé leur respect du "droit des peuples à se donner des gouvernements de leur choix". Mais ils s'empressèrent surtout de porter ou de remettre au pouvoir des régimes garants de l'ordre impérialiste, en se souciant fort peu de leur caractère démocratique. En Italie par exemple, c'est le maréchal Badoglio qui fut porté au pouvoir après la chute de Mussolini. En Pologne, les Alliés imposèrent d'intégrer au nouveau gouvernement les membres du gouvernement en exil à Londres, les mêmes qui faisaient régner un régime de dictature dans les années 1930. Au Japon, ils maintinrent sur le trône l'empereur Hirohito, qui avait couvert le régime précédent. En Allemagne même, au-delà du procès de Nuremberg où les condamnations de quelques dirigeants nazis furent prononcées, les anciens cadres politiques furent maintenus en place; un Klaus Barbie bénéficia même de protections spéciales de la part des militaires américains.
Les États-Unis ont donc, en effet, une certaine expérience de ce type de "libération". Leur projet en Irak est bien, s'ils réussissent à abattre Saddam Hussein, de mettre en place un gouvernement dit "démocratique" leur offrant toutes garanties. Mais ce gouvernement s'appuierait sur les cadres du régime actuel, de l'armée et de l'appareil d'État à qui ils ont multiplié les avances.
L'intérêt des trusts, pétroliers en premier lieu, est qu'après cette guerre l'ordre règne en Irak. Le souci des dirigeants américains est donc avant tout de mettre en place un pouvoir capable de tenir en respect la population comme le faisait celui de Saddam Hussein, qu'ils ont d'ailleurs soutenu si longtemps. Tout comme en Europe après la fin de la Seconde Guerre mondiale, leur premier souci n'était pas la "démocratie", mais bien de parer à tout danger de révolution.