Grande-Bretagne : Les ratés de l'"unité nationale"27/03/20032003Journal/medias/journalnumero/images/2003/03/une1808.jpg.445x577_q85_box-0%2C104%2C1383%2C1896_crop_detail.jpg

Dans le monde

Grande-Bretagne : Les ratés de l'"unité nationale"

À en croire certains sondages, le déclenchement des hostilités contre l'Irak aurait rallié une courte majorité de l'opinion britannique derrière Blair et sa politique guerrière. Mais les instituts de sondage sont loin d'être unanimes, puisque certains continuent à indiquer près de 70% d'opposants à la guerre.

D'ailleurs le succès des manifestations contre la guerre organisées le 22 mars dans tout le pays montre bien mieux que tous les sondages l'importance de cette opposition: 200000 manifestants à Londres (selon la police), 15000 à Manchester, 20000 en Ecosse, 15000 à la base militaire de Fairford (d'où partent les B-52 américains qui vont semer la mort dans les grandes villes irakiennes). De tels chiffres, même s'ils sont plus faibles que le 15 mars, marqueraient déjà un succès en temps de paix, mais ils sont sans précédent en temps de guerre.

D'autant que Blair n'a pas ménagé ses efforts pour se rallier l'opinion, multipliant les appels à l'"unité nationale" derrière "our boys" (nos gars) "qui risquent leurs vies pour libérer l'Irak d'un tyran". Mais si le sort des 40000 soldats britanniques inquiète l'opinion, surtout dans les couches populaires d'où sont issus la plupart des soldats du rang, cela ne change rien aux sentiments de la majorité vis-à-vis de la guerre: cette sale guerre est peut-être désormais un fait accompli que rien ne semble plus pouvoir arrêter, mais elle n'en reste pas moins aussi odieuse qu'injustifiable.

D'autant qu'une grande partie de l'opinion est loin d'avoir digéré les mensonges de Blair à propos des "armes de destruction massive" irakiennes, et surtout l'arrogance avec laquelle il est passé outre aux sentiments de la population. Et c'est cette arrogance qui coûtera peut-être à Blair sa place à la tête du Parti Travailliste, et donc du gouvernement, surtout si, comme on peut le craindre, cette guerre tourne au bain de sang pour la population irakienne, voire à l'hécatombe pour les soldats anglais.

C'est en tout cas le calcul que semble avoir fait une partie de l'appareil travailliste, qu'il s'agisse des quelque 30% de députés qui ont pris publiquement leurs distances vis-à-vis de Blair dans les jours précédant la guerre ou de Robin Cook, le leader de la Chambre des communes et l'un des ténors du parti, qui a démissionné du gouvernement dès que les soldats britanniques sont entrés en territoire irakien. De toute évidence, et bien qu'il s'en défende, Cook a jugé le moment venu de se mettre en réserve, en prévision d'une crise de succession possible dans laquelle il représentera la politique antiouvrière de Blair sans qu'on puisse lui reprocher d'avoir cautionné sa politique guerrière.

En attendant, tout dans le déroulement de la guerre contribue à donner raison aux craintes de ceux qui y sont opposés, à commencer par les mensonges éhontés de l'état-major britannique, qui sont d'autant plus mis en évidence que, chaque jour, l'une des cinq chaînes de télévision hertziennes distille sans interruption les nouvelles de la guerre. Ainsi la prétendue "conquête" du port d'Oum Qasr, moins de 24 heures après le début des hostilités, avait été présentée par les généraux anglais comme une "victoire" et la démonstration du rôle "humanitaire" des forces britanniques. Or, cinq jours après, on apprenait que de violents combats se déroulaient toujours autour du port, et que la véritable "victoire" anglaise était en fait d'avoir pris le contrôle des installations pétrolières voisines. Preuve que l'"humanitaire" de Blair a décidément une forte odeur de pétrole.

Puis sont venues les "bavures" que la propagande officielle n'a pu dissimuler, depuis les accidents d'hélicoptère jusqu'à la destruction d'un Tornado anglais par un missile Patriot américain, ou encore la mort d'un grand reporter de la chaîne de télévision britannique ITN, abattu par un tir de mitrailleuse anglaise. Sans parler de déclarations qui font froid dans le dos, comme celles de ce commandant des Royal Marines à Oum Qasr, expliquant qu'une fois terminé le "travail" des bombardiers, les Marines auraient vite fait, grâce à leur longue expérience acquise en Irlande du Nord, de "nettoyer les quelques poignées de résistants fanatisés", maison par maison si nécessaire -des résistants que le même officier accusait par ailleurs de "traîtrise" parce qu'ils se "déguisaient" en civils. Autant dire que si cet officier fait ce qu'il a annoncé, il risque de ne rester que des ruines et beaucoup de cadavres à Oum Qasr!

Or il ne se passe pas de jour sans que les médias rapportent des informations de ce genre au détour d'un reportage, qui toutes soulignent le caractère sanglant et destructeur de cette guerre. Sans parler des décès de soldats anglais, dont on commence à soupçonner qu'ils sont bien plus nombreux que la douzaine officiellement reconnue (dont la plupart ont été victimes de "bavures").

Loin de souder les rangs de la population derrière l'armée, comme l'espérait Blair, tout cela ne fait que créer une atmosphère de malaise, qui renforce les adversaires de la guerre dans leur opposition. Mais ce climat risque aussi de semer de plus en plus le doute parmi ceux qui se déclaraient partisans de la guerre, souvent par solidarité avec un parent ou un ami soldat. Car plus cette sale guerre durera et plus il apparaîtra clairement que ces soldats, que Blair a envoyés sans la moindre vergogne contre la population irakienne, ne risquent leur peau que pour défendre les dividendes des barons de la City de Londres.

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