Irak : Le veto de Chirac n'arrêtera pas la guerre13/03/20032003Journal/medias/journalnumero/images/2003/03/une1806.jpg.445x577_q85_box-0%2C104%2C1383%2C1896_crop_detail.jpg

Dans le monde

Irak : Le veto de Chirac n'arrêtera pas la guerre

Lundi 10 mars, dans son entretien avec les journalistes David Pujadas et Patrick Poivre d'Arvor, Chirac s'est expliqué sur ses divergences tactiques avec l'administration Bush sur la façon de désarmer l'Irak, confirmant l'intention de la France d'utiliser éventuellement son droit de veto au Conseil de sécurité.

Cependant Chirac a tout de même réaffirmé, sur le fond, sa solidarité avec les dirigeants des États-Unis, qui se préparent à frapper l'Irak. Il a souligné notamment qu'à ses yeux, comme pour les dirigeants américains, l'Irak restait "un pays dangereux" et qu'il demeure "essentiel d'éliminer ses armes de destruction massive". Et s'il a redit sa préférence pour laisser du temps aux inspecteurs de l'ONU pour parvenir à ce résultat, il a aussi rappelé que si "l'Irak ne coopère pas", si "les progrès sont insuffisants, et que les inspecteurs ne sont pas en mesure de réussir, dans ce cas, la guerre deviendrait inévitable".

Rappelant que la "France n'est pas un État pacifiste", il a indiqué que l'intervention des inspecteurs de l'ONU entre 1991 et 1998 avait permis de détruire plus d'armes que les bombardements, et notamment de démanteler "le programme nucléaire de l'Irak".

D'après les calculs des dirigeants français, la prochaine résolution que les États-Unis cherchent à faire approuver par le Conseil de sécurité de l'ONU, ce qui donnerait à l'attaque américaine la bénédiction des Nations unies, ne devrait pas recevoir le nombre de voix suffisant pour être adoptée. Dans le cas contraire, Chirac a redit que la France pourrait utiliser son droit de veto, en indiquant que celui-ci a été "utilisé à maintes reprises dans le passé" (19 fois par la France, plus de trente fois par le Royaume-Uni et à 77 reprises par les États-Unis). Le président français a cependant relativisé les conséquences que pourrait avoir ce choix pour les relations avec les États-Unis, estimant même que cela n'empêcherait pas les entrepreneurs français de récupérer une part de reconstruction de l'Irak, après l'offensive américaine.

Le "non" de Chirac à la guerre n'aura même pas pour conséquence de refuser aux avions américains de traverser le ciel français. Les troupes françaises resteront l'arme au pied, mais les avions américains et leurs supplétifs britanniques pourront aller semer la mort parmi la population irakienne. Une façon d'avouer que le veto de Chirac, contrairement à ce que prétendait Marie-George Buffet dans les colonnes de L'Humanité, mardi 11 mars, n'enrayerait pas la logique de guerre.

Et c'est bien en cela que les dirigeants français et américains, malgré les apparences, sont bien d'accord. Chirac et son compère Villepin se sont servis de leur opposition sur un point de détail (le rôle des inspecteurs de l'ONU) pour se donner l'image de courageux résistants aux pressions guerrières des États-Unis. Le calcul des dirigeants de l'impérialisme français est que cette posture lui permettra d'être en meilleure position, auprès de nombre de pays du Tiers Monde, et notamment du monde arabe, avec peut-être de bons retours en matière économique, et notamment en prises de marchés. L'accueil reçu par Chirac en déplacement à Alger la semaine dernière a de quoi nourrir cet espoir.

Les dirigeants français ont visiblement estimé que ce choix tactique ne leur ferait pas perdre grand-chose dans la reconstruction de l'Irak. Le partage du monde, de la manne pétrolière, l'éventuelle recomposition de cette partie du Proche-Orient selon les voeux des dirigeants américains (en admettant qu'ils parviennent à leurs fins) ne laisseront de toute façon qu'une portion congrue aux intérêts français.

En revanche, cette posture d'opposition aux dirigeants américains, même si elle ne va pas loin, peut présenter des avantages certains vis-à-vis de l'opinion arabe par exemple. En laissant les dirigeants américains mener leur stratégie offensive, les dirigeants français et allemands se ménagent la possibilité d'intervenir ensuite auprès des différents pays arabes en se servant de leur statut d'"opposants" à la guerre et en essayant de tirer profit, pour leurs industriels respectifs, de la reconstruction et de la reprise des relations économiques.

En dépit de sa position actuelle, la France fait avant tout partie du camp impérialiste. Le petit coup de chapeau de Chirac à plus de deux siècles de solidarité, depuis la guerre d'Indépendance qui donna naissance aux États-Unis, ne disait pas autre chose.

Les dirigeants de la gauche française, Parti Socialiste en tête, qui depuis le début de cette crise manifestent leur solidarité avec le président, n'expriment en fait rien d'autre qu'une caution à l'impérialisme français. C'est un ralliement aussi honteux que celui affiché entre le premier et le deuxième tour de la dernière élection présidentielle. Et, dans les deux épisodes, le ralliement à Chirac a servi et sert à celui-ci en cautionnant sa politique intérieure entièrement axée contre le monde du travail.

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