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Algérie : Les travailleurs paralysent le pays
En Algérie, les 25 et 26 février, une grève générale appelée par le syndicat UGTA (Union Générale des Travailleurs Algériens) a paralysé tout le pays. Les ports, les aéroports, les chemins de fer, les transports en commun, les pompes à essence, les banques, les écoles, les hôpitaux, la plupart des entreprises du secteur public étaient à l'arrêt. La grève a touché également certaines entreprises du secteur privé. Mais cela semble avoir été parfois à l'initiative de patrons qui critiquent certaines "réformes" du pouvoir, comme celle prévue pour le secteur des hydrocarbures, ou des privatisations destinées plutôt aux multinationales et aux capitaux étrangers.
L'UGTA a voulu en même temps faire preuve de responsabilité en demandant aux grévistes de respecter le service minimum. À la société nationale des hydrocarbures, la Sonatrach, l'UGTA a demandé que la grève ne concerne pas la production et le transport du pétrole et du gaz. Les travailleurs de la Sonatrach semblent avoir respecté la consigne de l'UGTA, même si la plupart des pétroliers et des méthaniers n'ont pu charger du fait de la grève des dockers... Cela a d'ailleurs fait réagir Chakib Khelil, le ministre de l'Énergie et des Mines et par ailleurs patron de la Sonatrach, qui a déploré les "lourdes pertes" occasionnées à un moment où le prix du Brent s'élève et dépasse les 33 dollars le baril.
Il semble qu'ici ou là, les travailleurs aient voulu aller au-delà des consignes syndicales. Au complexe sidérurgique d'El Hadjar, près d'Annaba, privatisé et racheté par le groupe indien Ispat, les grévistes ont formé un cortège dans l'enceinte du complexe. Ils ont tenté de sortir dans la rue, mais ils ont été refoulés par la police. Au Complexe Véhicule Industriel, dans la zone industrielle de Rouïba, les grévistes ont bloqué la route et voulaient marcher sur Alger. Cela ne faisait pas partie des plans de l'UGTA et Sidi Saïd, le principal dirigeant de la centrale, a été dépêché sur place. Il a appelé au calme. "La sérénité dans laquelle se poursuit la grève doit être respectée. Elle se déroule dans les entreprises et non pas dans la rue. Il faut qu'ils comprennent que cette grève est un avertissement final à l'adresse de nos décideurs... Aujourd'hui, nous paralysons le pays, et demain, s'ils ne retirent pas leurs projets, nous sortirons dans la rue."
On le voit, les travailleurs ont profité de la grève lancée par l'UGTA pour exprimer leur mécontentement et leur ras-le-bol. D'ailleurs, ces derniers mois et ces dernières semaines, des grèves appelées par l'UGTA avaient été suivies dans le secteur de l'éducation, de la santé, dans l'agro-alimentaire, plus récemment chez les douaniers, dans les ports... Il y a quelques mois, le gouvernement avait lâché du lest en augmentant certaines catégories de salariés un peu plus privilégiés comme les médecins ou les enseignants du supérieur. Cela n'a peut-être qu'encouragé le mécontentement de millions de travailleurs auxquels leurs salaires bloqués permettent à peine de survivre... Cette dernière dizaine d'années, il y a eu des centaines de milliers de suppressions d'emplois et les privatisation prônées par le gouvernement sont associées aux yeux des travailleurs à de nouvelles compressions d'effectifs et à de nouvelles fermetures d'entreprises.
Pourtant, bien des travailleurs doivent savoir à quoi s'en tenir en ce qui concerne les dirigeants de l'UGTA. Certains d'entre eux ont été ou sont des députés des partis gouvernementaux RND et FLN. Ils ont soutenu et voté tous les programmes des gouvernements qui se sont succédé ces dernières années. Aujourd'hui, l'UGTA dénonce l'avant-projet de loi sur le secteur des hydrocarbures qui tend à mettre la Sonatrach sur un pied d'égalité avec les compagnies étrangères. Ces compagnies américaines, françaises, européennes bénéficient de moyens financiers et d'une technologie supérieure. La Sonatrach pourrait se voir déstabilisée et marginalisée... Cet avant-projet a d'ailleurs suscité des oppositions, et cela bien au-delà de la centrale syndicale. Une partie de l'opinion, certains cadres de l'État, une partie du patronat privé ont émis des critiques et le gouvernement a dû remiser provisoirement son avant-projet au placard...
Si l'UGTA a durci le ton, c'est parce que le mécontentement des travailleurs s'est accumulé. Mais elle ne s'oppose pas aux privatisations par principe. Elle exige d'être consultée et associée. Elle défend son statut de partenaire social. Pendant la grève, Sidi Saïd a surtout insisté dans ses déclarations sur son opposition aux privatisations des entreprises rentables... et son langage radical actuel n'est pas étranger à certaines luttes de clans à l'approche des présidentielles de 2004.