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- Lutte ouvrière n°1803
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Editorial
S'opposer à la guerre annoncée contre l'Irak mais sans faire de Chirac le rempart qu'il n'est pas
Deux cent mille manifestants à Paris, un demi-million à l'échelle du pays et plusieurs millions à l'échelle du monde : les manifestations de cette fin de semaine ont montré au moins que, si la guerre contre l'Irak est déclenchée dans les semaines qui viennent, elle ne le sera pas avec l'accord des peuples. Chose significative : en Europe, c'est précisément dans les pays dont les gouvernements sont en pointe dans l'agitation guerrière que les manifestations ont été les plus massives. Le nombre de manifestations aux États-Unis même a montré que Bush n'a pas l'accord de la totalité du peuple américain. Malgré le matraquage de la propagande guerrière venant aussi bien d'une caste politique unanime que des médias, des centaines de milliers d'Américains ont tenu à exprimer leur opposition à la guerre qui se prépare.
La participation massive à ces manifestations a amené certains dirigeants européens va-t-en-guerre à tempérer leur langage, ne serait-ce que pour des raisons électorales. Rien ne permet d'affirmer cependant que la guerre ne sera pas déclenchée dans les semaines, voire dans les jours qui viennent.
Le gouvernement français s'est autofélicité de son jeu diplomatique. Il a tenté de faire passer sa prise de position devant l'ONU à la fois pour un courageux acte de résistance aux pressions américaines et un garant pour la paix. Mais, non seulement cela n'empêchera pas les États-Unis de déclencher une agression mais rien ne garantit que l'opposition du gouvernement français à la politique américaine ira au-delà d'un baroud d'honneur diplomatique.
Les inspecteurs de l'ONU n'ont certes rien trouvé qui puisse fournir aux États-Unis le prétexte à la guerre. Mais Bush n'a cessé de répéter qu'il n'a besoin ni de l'ONU, ni de justifications pour partir en guerre. Et le nombre de soldats américains autour de l'Irak ne cesse d'augmenter et le matériel de guerre de s'accumuler.
Les prochains jours montreront si le gouvernement français, souhaitant participer à la curée en Irak, rentre dans le rang pour s'aligner sur les Américains ou si, estimant que les États-Unis ne laisseront de toute façon rien, ni aux groupes pétroliers français, ni à ceux des travaux publics qui louchent vers les chantiers de reconstruction de l'après-guerre, Chirac choisira de s'abstenir sur le plan militaire.
Mais, si le gouvernement français entretient le suspense pour ce qui est de sa participation à la guerre, il ne cesse de répéter depuis le début à quel camp il appartient. C'est celui de l'impérialisme agresseur, pas celui du peuple agressé.
A peine la représentation française à l'ONU s'est-elle illustrée en se démarquant des États-Unis que Chirac a éprouvé le besoin de se présenter avec insistance, dans une interview donnée à un journal américain, comme un " supporteur de la solidarité transatlantique ". Il a apporté son approbation totale à la présence de l'armada américaine autour de l'Irak. Cela sonne déjà comme la fin de l'intermède d'opposition diplomatique aux États-Unis.
Ceux qui sont sincèrement opposés à cette guerre injuste, à cette guerre impérialiste, auraient en tout cas bien tort de voir en Chirac un rempart contre l'intervention militaire. Quand Chirac déclare, dans la même interview, qu'il n'est pas pacifiste, on peut le croire. Comme Bush, comme Blair, comme les autres dirigeants du monde impérialiste, il ne détermine pas sa politique en fonction des sentiments et des aspirations des peuples mais en fonction des intérêts des grands groupes industriels et financiers.
Et les partis de gauche, le PS comme le PC, qui apportent leur soutien au gouvernement et qui cautionnent sa politique, non seulement propagent des illusions mais reconduisent sur le terrain de la politique extérieure le ralliement honteux à Chirac lors du deuxième tour de l'élection présidentielle.
Alors oui, il faut s'opposer à l'agression impérialiste contre l'Irak. Mais pas derrière Chirac.