Grande-Bretagne : Un désaveu de la politique guerrière de Blair20/02/20032003Journal/medias/journalnumero/images/2003/02/une1803.jpg.445x577_q85_box-0%2C104%2C1383%2C1896_crop_detail.jpg

Dans le monde

Grande-Bretagne : Un désaveu de la politique guerrière de Blair

Si la journée du 15 février a montré quelque chose en Grande-Bretagne, c'est bien la profondeur de l'opposition à la politique guerrière du gouvernement travailliste de Tony Blair.

Jamais on n'avait vu autant de manifestants à Londres. Pendant neuf heures, deux cortèges venus de points de départ différents ont convergé vers Hyde Park, le plus grand parc de Londres. Au total on comptera plus d'un million de participants (750 000 selon la police, deux millions selon les organisateurs), beaucoup plus que lors de la manifestation de novembre 2002, qui avait déjà été ressentie comme une claque cinglante infligée à Blair.

A l'origine de cette manifestation se trouvait la " Coalition contre la guerre en Irak ", un regroupement allant de l'extrême gauche aux musulmans intégristes, en passant par une galaxie de groupes écologistes, tiers-mondistes et surtout pacifistes. Ce courant pacifiste englobe lui-même un éventail très large. Il va du CND (campagne pour le désarmement nucléaire), le groupe le plus important, proche du Parti Travailliste et lié au milieu de l'ex-parti communiste, à une multitude de groupes d'inspiration religieuse, dont certains peuvent être franchement réactionnaires. Par ailleurs, trois des cinq partis britanniques représentés au Parlement s'étaient joints à l'appel - les libéraux-démocrates, les nationalistes écossais du SNP et les nationalistes gallois de Plaid Cymru. De même d'ailleurs que de nombreuses sections syndicales, des groupes locaux liés à la mouvance travailliste et des personnalités travaillistes dont certaines, comme Mowlam, ex-secrétaire d'État à l'Irlande du Nord de Blair, n'ont jamais fait partie de la " gauche " travailliste.

En tout cas, pris de cours par le nombre des manifestants, les organisateurs ont été littéralement noyés dans leurs rangs. D'autant que la grande majorité des participants semblent être venus spontanément. Parmi eux, on pouvait remarquer en particulier une proportion importante de très jeunes, dont beaucoup étaient venus par classes entières de lycées situés aux quatre coins du pays. On pouvait également noter une forte proportion de gens issus des classes moyennes, de ces électeurs " flottants " invoqués tant de fois par Blair pour justifier ses dérives réactionnaires, au nom de la nécessité de gagner leurs voix - preuve qu'il y a des dérives réactionnaires dont ces électeurs ne veulent pas !

Enfin, une bonne moitié de la manifestation était constituée de gens modestes, travailleurs, chômeurs ou retraités, venus exprimer leur indignation au moins autant face à la menace de guerre elle-même que face à l'arrogance d'un gouvernement qui depuis des mois méprise le fait que la majorité de l'opinion soit opposée à sa politique. C'est cette indignation que reflétaient les dizaines de milliers de pancartes confectionnées à la main par les manifestants.

Pendant ce temps, à Glasgow, Blair avait avancé de quatre heures le discours qu'il devait faire devant la conférence du Parti Travailliste écossais - ceci afin d'éviter le rassemblement prévu devant le hall de conférence à l'heure officielle de son discours. Inutile de dire que la centaine de milliers de manifestants qui se rassemblèrent à l'heure dite apprécièrent à sa juste valeur le courage de ce politicien prêt à faire couler le sang de la population irakienne sous prétexte que " débarrasser le monde de Saddam Hussein sera un acte humanitaire ", mais pas prêt à affronter une opinion qui conteste ses engagements bellicistes !

Après cette journée du 15 février, personne ne peut contester aujourd'hui l'opposition de l'opinion publique britannique à la menace de guerre contre l'Irak. Blair lui-même s'en garde bien. Change-t-il de politique ? Il n'en est pas question. Tout au plus se contente-t-il d'envoyer des messages contradictoires - mais ce n'est pas nouveau - tantôt insistant sur la nécessité de chercher une " solution dans le cadre de l'ONU ", formule suffisamment floue pour se prêter à toutes les interprétations, et tantôt renchérissant sur la rhétorique guerrière de Bush.

Car Blair sait que le courant pacifiste qu'il a face à lui n'a rien d'homogène. Une partie de ce courant est bien plus inspirée par l'anti-américanisme, l'isolationisme et surtout de profondes illusions dans la " neutralité " de l'ONU, que par un rejet réel de la politique prédatrice de l'impérialisme britannique à l'égard des pays pauvres. Et c'est ce qui marque les limites de ce mouvement dans l'état actuel des choses, quel que soit par ailleurs le degré de mobilisation qu'il a réussi à entraîner.

Cela dit, quoique puisse en dire Blair, cette mobilisation a été un désaveu sans appel dont l'impact peut se révéler profond car, à en juger par les réactions enthousiastes dans les entreprises le lendemain, il va bien au-delà de ceux qui y ont participé. Du coup, il est possible qu'en renforçant le moral d'une partie de la population face à Blair et à sa politique, en particulier parmi les jeunes et les travailleurs, ce 15 février contribue à leur faire prendre conscience de la force collective qu'ils représentent, et les convainque du fait qu'à défaut de pouvoir empêcher cette sale guerre, ils peuvent peut-être forcer Blair à remballer ses missiles et bien d'autres choses encore.

Partager