A l'heure où des articles de presse remettent sur le tapis l'affaire d'AZF à Toulouse, d'ailleurs pour tenter de disculper la compagnie TotalFinaElf qui en est responsable, les conditions de travail et de sécurité dans de nombreuses usines ne sont pas meilleures. Qu'on en juge avec ce qui s'est passé ces derniers temps à l'usine Rhodia de Chalampé, près de Mulhouse.

Mercredi 8 janvier, des centaines de mètres cubes de cyclohexane, produit toxique hautement inflammable, s'étaient échappés d'une canalisation de l'usine Rhodia, infiltrés dans le sol sous l'usine et flottaient sur la nappe phréatique. Cette usine, où travaillent près de 1500 salariés, est considérée comme une usine moderne, modèle de sécurité par rapport à bien d'autres plus vétustes dans les environs de Mulhouse.

Un produit très dangereux

Le cyclohexane n'est pas n'importe quel produit. Il est toxique pour les organismes, provoquant, s'il est inhalé ou ingéré, torpeur, vertige, nausée, toux, vomissement, malaises et évanouissements. L'inhalation peut provoquer des oedèmes des voies respiratoires. Il peut léser le foie et les reins. A haute concentration, il peut mener à la paralysie respiratoire, à l'inconscience, au collapsus mortel. Il présente un danger pour l'eau potable en cas de pénétration de quantités importantes dans le sol et les eaux naturelles.

Mais encore plus grave, le cyclohexane est fortement volatil et terriblement inflammable à température ambiante. Il recèle un danger de formation de vapeurs explosives au-dessus de la surface de l'eau. Ainsi le 1er juin 1974, à Flixborough, en Angleterre, la rupture d'une conduite provisoire de cyclohexane montée entre deux réacteurs d'une usine chimique avait provoqué l'explosion de celle-ci. Bilan : 28 morts, 75 blessés et 2450 maisons endommagées.

Or, dimanche 5 janvier, une fuite d'hydrogène enflammé était signalée à l'usine, ce qui, à proximité des vapeurs de cyclohexane aurait pu conduire à la catastrophe... Et l'usine de Chalampé qui recèle bien d'autres produits plus dangereux est contiguë d'une usine qui fabrique les mêmes éléments qu'à AZF-Toulouse !

Des propos rassurants et mensongers

Une fois que l'information eut fait la " Une " des journaux locaux ou des médias allemands (car l'usine est à la frontière, au bord du Rhin), le directeur du groupe Rhodia-France s'est déplacé à Chalampé pour rassurer la population et déclarer qu'il n'y avait eu qu'un problème de communication. Or, s'il y eut en effet un problème de communication c'est que la direction avait caché l'incident aux riverains et à la DRIRE en lui signalant une fuite bénigne.

Aujourd'hui, la direction se déclare incapable de mesurer la quantité de produit qui s'est échappé, mais on parle le plus fréquemment de 1200 tonnes. Ce qui n'est pas rien. La direction a prévu de pomper le cyclohexane, les travaux devant durer au moins jusqu'au mois d'avril. Un ouvrier qui travaille sur le chantier a déjà eu un malaise !

La fuite a été provoquée dans une tuyauterie extérieure par le gel du cyclohexane qui a fait éclater la canalisation. Le système de chauffage de la canalisation était lui-même en panne. Or, avec les économies sur le personnel auxquelles se livrent la direction depuis un certain temps, les rondes régulières de surveillance dans cette usine de 200 hectares ont été espacées ou abandonnées. Ainsi il a fallu près de 30 heures pour se rendre compte que la tuyauterie avait éclaté.

Des économies qui peuvent s'avérer criminelles

Pourtant cela fait longtemps que les salariés et les syndicats s'élèvent contre les risques que fait courir à tous cette économie en personnel. Fin décembre un incident sur une ligne a provoqué la fuite d'acide cyanhydrique. C'est une fuite considérée comme mineure et sur laquelle on n'est pas intervenu tout de suite. Mais tout d'un coup, la direction a décidé qu'il y avait urgence et un soudeur d'une entreprise extérieure a travaillé 16 heures de suite un dimanche pour réparer la fuite. A l'automne 2002, un énorme bidon de la taille d'un gymnase contenant des déchets chimiques avait subi une combustion chimique pendant plusieurs semaines sans que la direction puisse rien faire, sinon espérer que cela ne provoquerait pas une catastrophe. Heureusement pour elle si on peut dire, les médias n'ont pas parlé de cet incendie car celui, au même moment, du site minier de Stocamine, guère éloigné de là, avait retenu toute leur attention.

Et puis, fin 2001 aussi, un wagon de butadiène, gaz extrêmement nocif et explosif, s'était renversé, frôlant la catastrophe. Quelque temps auparavant, ce sont 25 kilos de cyanure qui s'échappaient dans l'atmosphère suite à la rupture d'une soupape qui aurait due être changée ; la direction avait choisi de retarder la maintenance pour réduire les coûts. Déjà la municipalité voisine n'avait été avertie que trois jours après. Peu de temps auparavant encore, la forte explosion d'une citerne avait causé un grave accident. Trois ouvriers avaient été touchés, dont deux brûlés légèrement et un brûlé grave qui de plus avait fait une chute d'une hauteur de plus de dix mètres. Cet ouvrier a des séquelles telles qu'il paiera toute sa vie la négligence du patron. Son atelier fait partie de ceux qui ont subi plusieurs restructurations et modifications techniques ces dernières années. Alors que la production a pratiquement doublé, les effectifs de la fabrication sont passés souvent de 10 à 7 personnes par équipe.

Les pompiers eux-mêmes, plus responsables que la direction, s'étaient mis en grève il y a quelques années parce que le patron, au mépris des risques que cela impliquait, avait voulu leur faire faire de la manutention pendant leur service, les rendant par là-même moins disponibles pour intervenir en cas d'accident ou d'incendie. Et maintenant la direction externalise la maintenance pour faire toujours plus d'économies.

L'an passé les salariés de Rhodia-Chalampé ont fait grève pour obtenir, entre autres, des embauches. La direction en a concédé une trentaine. C'est notoirement insuffisant. Mais face à l'irresponsabilité et à l'égoïsme patronal, imposer des embauches reste la seule voie.