Prud'hommes : Fillon mal placé pour parler de démocratie18/12/20022002Journal/medias/journalnumero/images/2002/12/une1794.jpg.445x577_q85_box-0%2C104%2C1383%2C1896_crop_detail.jpg

Leur société

Prud'hommes : Fillon mal placé pour parler de démocratie

Au lendemain des élections prud'homales, le ministre des Affaires sociales, François Fillon, a évoqué le faible taux de participation pour " souligner " le peu de représentativité des syndicats. " Le taux de participation nous oblige à engager la réflexion et le débat sur la démocratie sociale ", a-t-il déclaré.

Fillon contre les syndicats

Fillon envisage d'ouvrir des négociations début janvier, avant de déposer un projet de loi au cours de l'année 2003 sur la démocratie sociale puisque, prétend-il, elle " ne fonctionne pas très bien ". Les syndicats n'ont pas seuls " légitimité à réformer le pays ", a-t-il poursuivi. A l'appui de sa démonstration , il affirme doctement, non sans mauvaise foi, que " le Parlement a obtenu une majorité avec un nombre d'électeurs beaucoup plus important que lors des élections syndicales. On ne peut lui nier toute liberté d'intervenir dans le débat. " Sauf qu'il y a plus d'électeurs inscrits sur les listes électorales d'une élection qui se déroule un dimanche, à la suite d'une campagne largement médiatisée que pour les prud'hommes, un mercredi. Et pourtant, contrairement à ce que prétend le ministre, l'abstention aux élections politiques, législatives et présidentielle, va grandissant.

Élections syndicales... et présidentielle...

Fillon feint de s'interroger sur la représentativité des organisations syndicales, qui est peut-être parfois discutable. Mais qu'il laisse le soin aux salariés de le faire ! Ils sont mieux placés que lui. Car ce n'est quand même pas l'opinion d'un représentant affiché des intérêts du patronat qui doit déterminer la façon dont les salariés peuvent et souhaitent être représentés, et par qui. Mais puisqu'est abordée la question de la représentativité, rappelons à ce ministre que le président de la République dont il se réclame, Chirac, n'a recueilli que 19 % des suffrages exprimés au premier tour de l'élection présidentielle, soit à peine 5,5 millions de voix, sur près de 40 millions d'inscrits. La représentativité de Chirac n'est guère plus sérieuse que celle des syndicats, ce qui ne l'empêche pas de se considérer comme le représentant de tous les Français.

La participation aux élections prud'homales a été faible, comme c'était prévisible. L'abstention a été de 67,3 %, à peine plus qu'en 1997, où elle avait atteint 66,4 %. Cette désaffection traduit sans doute un fléchissement dans le moral et la combativité des travailleurs. Mais d'autres facteurs interviennent pour expliquer cette baisse. Fillon en tire des conclusions qui l'arrangent, en oubliant tout le reste.

En fait, plus de cinq millions de travailleurs du secteur privé sur 17 millions ont voté , ce qui, compte tenu des conditions dans lesquelles s'est déroulé ce vote, est loin d'être négligeable.

Des difficultés pour exercer son droit de vote

Les représentants des syndicats ont dénoncé les nombreux problèmes rencontrés, et Fillon lui-même a dû admettre des " difficultés dans l'organisation des prud'homales ". Bien des travailleurs qui s'étaient déplacés pour voter ont découvert sur place qu'ils n'étaient pas inscrits sur les listes électorales, parce que leur patron avait " omis de le faire ". D'autres n'ont pas trouvé de bureau de vote, ou alors les bulletins présentés n'avaient rien à voir avec les candidats soumis à leurs suffrages.

Sur les 17 millions de salariés du secteur privé, plus de 8 millions travaillent dans des entreprises de moins de 50 salariés où, bien souvent, ils n'ont pas la possibilité de rencontrer des syndicalistes, parce que leur patron ne fait rien pour, quand il n'y fait pas obstacle. Dans ces entreprises, comment et où obtenir les explications sur l'utilité de ce vote ou sur les démarches à suivre ?

Souvent, ce sont les patrons qui ont fait pression sur leurs salariés pour qu'ils n'aillent pas voter, alors que la loi impose qu'ils puissent le faire sur le temps de travail. Car, il ne faudrait pas l'oublier, la " démocratie " dont ces messieurs ont la bouche pleine s'arrête, en fait, à la porte de l'entreprise.

L'organisation même du scrutin rendait le vote sur le temps de travail difficile pour beaucoup, voire impossible. Les bureaux de vote étaient ouverts de 8 heures et 18 heures (19 heures à Paris). Pour qu'un travailleur en équipe de nuit aille voter, il lui fallait écourter son temps de sommeil. De même, les travailleurs en équipe de week-end ne pouvaient pas non plus voter sur leur temps de travail. Et ce, pour ne citer que quelques difficultés, et non les pires.

Fillon n'ignore rien de tout cela. Il sait qu'il n'y pas de réelle liberté syndicale au sein des entreprises, ni de liberté tout court quand on y est salarié, et que les travailleurs n'ont pas les moyens ni le droit de s'exprimer sur leur lieu de travail. Si Fillon voulait agir dans le sens d'une amélioration de la " démocratie sociale ", ou encore en faveur d'une meilleure participation des salariés aux élections prud'homales, ou pour l'élargissement des libertés des salariés, il aurait du pain sur la planche. Mais là n'est pas sa tâche...

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