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- Lutte ouvrière n°1793
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Dans le monde
Fiat met 8 000 ouvriers à la porte, Berlusconi leur propose le travail au noir
" Les plus volontaires ou les plus chanceux trouveront un deuxième travail, peut-être pas officiel, qui fera rentrer un peu d'argent supplémentaire dans la famille. " C'est ce conseil tranquillement cynique de recourir au travail au noir que le Premier ministre italien Berlusconi s'est permis de donner aux ouvriers de Fiat, après l'accord intervenu le 5 décembre entre le gouvernement et les représentants du principal constructeur automobile du pays.
Fiat impose ses conditions
En fait d'accord, c'est d'ailleurs une acceptation pure et simple des conditions de Fiat par le gouvernement. Les trois principales organisations syndicales CGIL-CISL-UIL, elles, ne pouvaient que se refuser à signer. Et pendant que, vendredi 6 décembre, les travailleurs de l'ensemble du groupe Fiat débrayaient et manifestaient dans tout le pays, les lettres annonçant à 5 600 d'entre eux leur mise au chômage commençaient à partir.
C'est donc 5 600 travailleurs qui ont été mis en " cassa integrazione " à zéro heure à partir du 9 décembre. Autrement dit, ils sont mis au chômage tout en continuant théoriquement à faire partie du personnel et en touchant en principe 80 % de leur salaire. La durée sera d'au moins un an, et plus probablement de deux, au terme desquels la Fiat n'a donné aucune assurance de les reprendre. En outre, 2 600 travailleurs pourraient être mis en " mobilité longue ", sorte de préretraite.
Ainsi, c'est à quelques détails près le plan initial annoncé en octobre par le constructeur, comportant 8 100 suppressions d'emplois, qui a été entériné par Berlusconi. Huit mille cent travailleurs sont mis à la porte et le groupe automobile réussit à faire assumer une grande partie des frais de l'opération à l'État, par le biais de la " cassa integrazione " et de la " mobilité ". Les travailleurs payeront le reste, mis en mobilité ou au chômage avec une partie de leur revenu amputé ; en fait l'indemnisation de la " cassa integrazione " revient en général à bien moins des 80 % du salaire réel car elle ne comprend pas les diverses primes et est plafonnée à 776,12 euros par mois. Et il y aura en plus, pour tous, l'angoisse d'être peut-être purement et simplement licencié au terme des deux ans.
Chantage à la fermeture
Ainsi, à l'usine de Termini Imerese en Sicile, ce sont en pratique tous les travailleurs du groupe Fiat Auto et de ses filiales Comau et Magneti Marelli qui sont renvoyés chez eux. Devant le scandale soulevé par la perspective de fermeture d'une des seules usines importantes de l'île, et face à la lutte désespérée des travailleurs de l'usine, bloquant tour à tour les autoroutes ou même le port de Palerme, Fiat a fait un semblant de concession en déclarant que l'usine pourrait être rouverte au terme d'un an de fermeture lui permettant de restructurer les chaînes et d'y transférer des productions faites auparavant... à Turin.
Mais en fait la direction du groupe ne s'est engagée à rien sur ce point et on peut s'attendre à de nouveaux chantages. Ce peut être un nouveau chantage à la fermeture, afin d'obtenir de l'État des aides sous le prétexte, habituel en Italie, du " développement du Sud ", ce qui ne l'empêcherait pas de transférer quand même ses productions un peu plus tard ; ou bien aussi un chantage à faire entériner par les syndicats une " flexibilité " maximum. Celle-ci est déjà appliquée à l'usine de Melfi, dans le sud de la botte, usine ultra-moderne implantée il y a quelques années avec de nombreuses aides de l'État et qui fonctionne presque 24 heures sur 24 avec des horaires d'équipes et des cadences qui détruisent en quelques années la santé de ses ouvriers. " L'argent de l'État et le régime Melfi, ou bien la fermeture ", tel est en substance le chantage qui se profile de la part des dirigeants du groupe Fiat.
Lutter pour le " plan industriel "... ou pour le droit des travailleurs à la vie ?
Ailleurs, à Turin en particulier, ces mises en chômage s'ajoutent à d'autres périodes de " cassa integrazione " qui se succèdent régulièrement depuis des mois, accentuant la démoralisation et le désespoir des ouvriers et la conviction que, à terme, ce sont toutes les usines Fiat de Turin - avec tous les sous-traitants - qui pourraient être menacées.
En est-il vraiment ainsi ? Rien n'est moins sûr mais le fait est que les dirigeants de Fiat ont su s'y prendre, depuis des mois et des années, pour accentuer ce climat d'incertitude et en tirer parti. Malheureusement les directions syndicales ont fait en grande partie leur jeu. Ainsi, ces dernières semaines, si elles ont multiplié les journées d'action - dans le groupe Fiat, dans la métallurgie, ou bien à l'échelle des régions concernées -, ce fut toujours au nom de la demande d'un " plan industriel ". Le groupe Fiat était interpellé, et le gouvernement appelé à intervenir, pour définir un tel plan, engager des investissements et des recherches dans la technologie et la qualité, étudier l'avenir des véhicules électriques, etc. Au cours des manifestations on pouvait entendre les dirigeants des trois syndicats proclamer que les travailleurs de Fiat ne se battaient pas pour eux, mais pour l'avenir industriel du pays, pour qu'il reste un vrai pôle automobile en Italie, venant en fait, à leur façon, à la rescousse des chantages de Fiat. Et par ailleurs les dirigeants syndicaux se sont bien gardés de relier la lutte des travailleurs de Fiat à la lutte des travailleurs de tout le pays. Celle-ci serait pourtant indispensable, pour l'interdiction des licenciements, pour faire payer les patrons, en fait pour le droit de continuer à vivre décemment en tant que travailleurs.
Car, en effet, il s'agit bien d'abord et avant tout de la vie et de la dignité des travailleurs de Fiat et de ceux de tout le pays. Car ces 8 000 quasi-licenciements chez Fiat sont une porte ouverte pour tous les patrons qui voudraient se débarrasser d'une partie de leur personnel. Le groupe Fiat se plaint de perdre de l'argent car il a séparé le secteur Fiat Auto, qui serait déficitaire, du reste du conglomérat. Mais le groupe dans son ensemble, et la famille Agnelli en particulier qui le contrôle, font des affaires en or notamment en tant que groupe financier.
Alors toutes ces richesses accumulées, produites en grande partie par la sueur et parfois avec la peau des ouvriers de Fiat pendant des décades, devraient servir d'abord à garantir leur emploi et leur salaire, quels que soient les aléas du marché automobile. Et cela, la classe ouvrière, en Italie comme en France, aurait parfaitement la force de l'imposer si elle parvenait à se mobiliser autour d'un tel plan de défense.
Au moment où Berlusconi et Agnelli s'accordent comme larrons en foire, où Berlusconi ricane en proposant carrément aux ouvriers de se débrouiller avec un travail au noir, c'est bien cela qui devrait être mis à l'ordre du jour par des directions syndicales dignes de ce nom.