Cent minutes pour nous convaincre que... Sarkozy se moque de l'insécurité11/12/20022002Journal/medias/journalnumero/images/2002/12/une1793.jpg.445x577_q85_box-0%2C104%2C1383%2C1896_crop_detail.jpg

Leur société

Cent minutes pour nous convaincre que... Sarkozy se moque de l'insécurité

Les téléspectateurs ont eu droit, sur France 2, en cette approche de Noël, au Père Fouettard en la personne de Sarkozy, durant plus de 100 minutes : pour convaincre, nous dit-on. Mais convaincre qui ?

Dans son rôle de shérif, Sarkozy bénéficia de faire-valoir involontaires. À Le Pen, qui s'essayait à faire du Sarkozy, en plus hard, en réclamant la mise en place d'un contrôle de l'immigration à " nos " frontières, le ministre de l'Intérieur répondit qu'il fallait coordonner ce contrôle au niveau de l'Europe. Simple question d'échelle, donc. Mais Sarkozy, qui avait passé son temps à se défendre de faire des amalgames, s'est gardé de se démarquer de celui de Le Pen qui, comme d'habitude, assimilait insécurité et immigration. Excepté un débat académique sur " droit du sol et droit du sang ", les deux démagogues avaient bien du mal à se différencier. Quant à Elisabeth Guigou, elle traita Sarkozy (comme le font d'autres ex-ministres socialistes : Vaillant, Lang) de copieur puisqu'il reprenait des mesures prises ou préparées par la gauche - ce qui n'est malheureusement pas faux. Elle fournit aussi l'occasion à Sarkozy de se présenter comme un homme qui n'hésitait pas, lui, à se rendre sur le terrain, surtout quand les caméras sont là. Il a même invité Guigou à aller avec lui dans un commissariat de Seine-Saint-Denis.

Mais Sarkozy, le rouleur de mécaniques, masque mal le Sarkozy illusionniste. Et ses trucs sont éculés. Ils consistent à pointer un fait divers, réel, en discourant comme s'il s'agissait d'une situation sinon générale, du moins qui risque de se généraliser... s'il n'y met pas bon ordre. Ainsi, a-t-il prétendu, si on n'a pas pu arrêter un tueur en série ou un violeur assassin, c'est parce qu'il n'existe pas de fichier génétique au point. Si lui, Sarkozy, intervient contre les prostituées, c'est pour lutter contre les proxénètes ; et s'il renvoie en Bulgarie les filles qui se trouvent sous leur emprise, ce serait pour leur permettre de se réinsérer dans leur milieu d'origine. Sauf qu'on voit bien plus de filles traquées que de proxénètes épinglés par la police !

Qui peut croire à de tels contes de fées ? Qui peut croire que la multiplication des contrôles d'identité, essentiellement au faciès, va ramener calme et quiétude ; que la menace de disperser les jeunes qui, faute d'autres lieux et d'autres occupations, s'assemblent dans les halls des cités dans les quartiers populaires, va changer les choses ? Qui peut le croire alors que, dans les écoles de ces mêmes quartiers, on supprime des surveillants, des aides-éducateurs, parfois des classes, et que celles qui existent sont surchargées ?

Ce que propose Sarkozy, ce sont des mesures tape-à-l'oeil, au sens littéral du terme. Elles aggraveront peut-être un peu - et pas partout, ni beaucoup - l'inquiétude chez les jeunes, mais elles augmenteront surtout leur exaspération et leur sentiment d'être montrés du doigt, d'être rejetés un peu plus encore, sans que la vie des habitants des cités ne change en quoi que ce soit.

En revanche, il y a une autre insécurité que Sarkozy s'est gardé d'évoquer, celle qui touche les salariés : l'insécurité au travail et l'insécurité de l'emploi. Et puisqu'il aime à citer les chiffres, pourquoi ne cite-t-il pas, par exemple, le nombre de travailleurs morts ou qui vont mourir prématurément, à cause de l'amiante, et plus généralement le nombre des accidents du travail, qui valent bien qu'on s'en inquiète comme on s'inquiète des accidents de la route ? En fait, ce n'est pas seulement l'amiante qui tue, mais la cupidité irresponsable des patrons, et pas que des petits, qui ont continué à faire travailler des salariés au contact de l'amiante alors que l'on connaissait la nocivité de ce produit. Et combien de femmes et d'hommes sont dans la gêne, voire dans la misère à cause du choix des patrons de licencier des salariés ?

Sarkozy est pourtant bien placé pour connaître ces chiffres et ces faits, puisque nombre de ses proches sont des patrons. Son frère est même un pilier du Medef qui a défrayé l'actualité en proclamant que les patrons ne devaient pas avoir de complexes à licencier et à délocaliser.

Récemment, on a appris que l'on avait vendu aux enchères le matériel des usines Moulinex. On a bradé les machines, après s'être débarrassé des salariés. Cela aurait été l'occasion de rappeler ce que racontait une licenciée de Moulinex, il y a quelques mois, à la radio. À sa connaissance, disait-elle, dix personnes s'étaient suicidées après leur licenciement de Moulinex. Autant de morts, donc, que les victimes de ces tueurs en série que Sarkozy évoque. Et bien plus sans doute quand on sait que des situations comme celle de Moulinex, il en existe partout en France. Et s'il faut faire la chasse aux tueurs en série, pourquoi oublier ces tueurs d'emplois qui non seulement ne sont pas pourchassés, mais sont présentés comme des bienfaiteurs de la société ?

Une insécurité n'en efface pas une autre, c'est vrai. Mais l'insécurité que font régner les capitalistes pour s'enrichir, alimente en partie celle que Sarkozy stigmatise.

Mais ce qu'il vise, en réalité, ce n'est pas tant à mettre fin à l'inquiétude des pauvres, comme il le prétend avec aplomb. C'est à cultiver une image qui puisse servir ses ambitions.

Partager