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Espagne - La catastrophe du " Prestige " : Coule la galère pour que voguent les profits
Chaque jour on en apprend un peu plus sur les circonstances qui ont entouré le naufrage du Prestige au large des côtes espagnoles de Galice, et chaque jour on en a un peu plus la nausée. Amoco-Cadiz en 1978, Exxon-Valdes en 1989, Erika en 1999, et maintenant Prestige...
Eh oui, cela fait des dizaines d'années que les compagnies pétrolières se rappellent au fort mauvais souvenir des populations aux quatre coins de la Terre, sans que rien ne change.
Face à ces géants économiques que sont les compagnies pétrolières, que l'on retrouve toujours impliquées dans ces catastrophes, les États se gardent bien de prendre les mesures qui pourraient empêcher un tant soit peu lesdites compagnies de laisser derrière elles un déluge noir de désolation.
Après le naufrage de l'Erika au large des côtes bretonnes, il y aura bientôt trois ans, l'Union européenne avait annoncé qu'elle prenait des dispositions pour que l'on ne revoie plus jamais cela. Eh bien, on a vu. Les mesures en question datent de 2000 mais, aussi limitées qu'elles soient, elles ne sont pas appliquées. Le Prestige qui, en août dernier, a été immobilisé par les autorités portuaires irlandaises qui y avaient relevé huit " déficiences ", a pu reprendre la mer. Lors de son dernier voyage, malgré son grand âge et bien qu'il s'agisse d'un navire pétrolier dangereux car très ancien, il n'a été contrôlé dans aucun des ports des eaux de l'Union européenne où il a croisé. Il l'a encore moins été là d'où il arrivait, en Lettonie - pays candidat à l'entrée dans l'Union européenne censé appliquer les contrôles en question, mais dont l'une des premières sources de revenus est d'écouler, à moindre coût et en évitant les contrôles, toutes sortes d'exportations russes, tel le fioul transporté par le Prestige.
Bien sûr, on retrouve là tous les ingrédients de ce genre de trafics : un navire sous pavillon de complaisance (celui des Bahamas) ; une société propriétaire basée au Liberia ; un armateur libérien ; un affréteur russe ; une société de négoce, Crown Ressources, dont les traces passent par les îles Vierges, Gibraltar et le canton suisse de Zoug - bel échantillonnage de " paradis fiscaux " - pour remonter à un groupe financier russe. Celui-ci, le groupe Alfa, est contrôlé par un ami du président Poutine qui, grâce à de tels appuis, a fait main basse sur TNK (la compagnie pétrolière de Tioumen) dont il exporte la production en en détournant les revenus... vers ces mêmes paradis fiscaux occidentaux.
Tout cela, ainsi que le rôle de courtiers internationaux britanniques et de banques occidentales qui se sucrent largement au passage, toute la presse française en a parlé. Elle en parle d'autant plus librement que cela ressemble à un " polar " politico-mafieux, et surtout... qu'elle n'a pas un boeuf sur la langue, comme dans le cas de l'Erika, pourtant similaire à bien des égards, mais où il fallait mettre en cause la " respectable ", elle, compagnie TotalFinaElf. Une compagnie, soit dit en passant, qui n'a toujours pas, pas plus que les sociétés d'assurances, remboursé les dégâts commis voici trois ans !
Ceux-ci sont estimés à 189 millions d'euros, ceux du Prestige (dont la capacité était le double de celle de l'Erika) pourraient être dans une même proportion. Mais quand on lit dans la presse économique que le plafond de remboursement des assureurs ne devrait pas dépasser 38 millions d'euros (après avoir fait jouer pendant des années - c'est aussi fait pour ça - l'écheveau des sociétés écrans, des renvois de responsabilités entre elles et les diverses législations nationales qui les protègent), on sait déjà que les populations côtières de la Galice ne sont pas près de toucher quelque chose, et que, de toute façon, ce sera une misère.
La presse a annoncé qu'au sommet franco-espagnol de Malaga, le 26 novembre, Chirac et Aznar allaient prendre des mesures draconiennes. Ce devait être un sommet " anti-Prestige " ont dit certains journaux. S'il était des Galiciens pour le croire, ils auraient vite fait de déchanter. Chirac s'est dit " horrifié " en apprenant le naufrage du Prestige. Il ne l'avait sans doute pas été moins après celui de l'Erika. Mais cela n'empêche pas la France de n'inspecter que 9,6 % des bateaux transitant par ses ports, au lieu de 25 % comme elle s'y était engagée. Par manque de personnel, disent les autorités. Comme si elles n'avaient pas su trouver des milliers de policiers supplémentaires quand Sarkozy-Chirac en ont eu besoin pour leur démagogie !
En fait, si les autorités françaises (comme celles de Grèce ou d'Angleterre, que la presse d'ici préfère montrer du doigt) n'ont aucun empressement à " rendre effectifs tout de suite " les contrôles, comme feint de le déplorer la commissaire européenne aux Transports, c'est que les intérêts en jeu - ceux des grandes compagnies pétrolières, des entreprises qu'elles approvisionnent, des banques qui leur sont liées, etc. - sont trop énormes.
C'est d'ailleurs pour la même raison qu'en 1986, un certain... Chirac, alors Premier ministre, avait décidé de créer un pavillon de complaisance français, celui des îles Kerguelen, sous lequel ne doivent pas flotter que des navires au-dessus de tout soupçon.
Alors, à quand la prochaine catastrophe ?