Une campagne contre l'enseignement général21/11/20022002Journal/medias/journalnumero/images/2002/11/une1790.jpg.445x577_q85_box-0%2C104%2C1383%2C1896_crop_detail.jpg

Leur société

Une campagne contre l'enseignement général

" Une majorité d'enseignants pour la fin du collège unique " titrait Le Monde le mardi 19 novembre. Voilà ce qu'il soulignait du sondage effectué par la Sofres pour la FSU, la principale fédération d'enseignants.

Cela voudrait dire que la majorité des enseignants estimeraient que l'on doit renoncer à un enseignement général commun jusqu'à la fin de la 3e et qu'il faudrait procéder plus tôt à l'orientation professionnelle des jeunes élèves. La conclusion est d'autant plus contestable que si elle fait bien ressortir les tares du système, l'enquête ne propose pas de se prononcer sur d'autres solutions que le renoncement à dispenser un enseignement général à l'ensemble des élèves. En particulier, elle ne propose pas l'option qui serait tout simplement de fournir aux enseignants les moyens matériels et humains de remédier aux insuffisances du système éducatif.

En effet l'enquête montre que les enseignants sont bien conscients des graves insuffisances de l'école. Le quart d'entre eux estime même qu'elle ne permet pas d'apprendre correctement à lire, écrire et compter ! Près de la moitié estime qu'elle est incapable de donner à chacun une bonne culture générale, près des deux tiers estiment qu'elle ne donne pas aux enfants le goût d'apprendre. Et seuls 10 % des enseignants pensent que l'école permet de rattraper l'inégalité entre élèves due à leur origine sociale.

Le constat est largement connu, aussi bien des enseignants que des parents et des élèves. L'échec scolaire de plus en plus fréquent parmi les élèves venant des milieux les moins favorisés, dont la famille n'est pas en mesure de suppléer aux déficiences de l'école, aboutit évidemment à un rejet de l'école de la part de nombreux élèves qui rendent la tâche des enseignants encore plus difficile.

Dans ces conditions, " le collège unique " est d'autant moins capable de remplir sa mission que non seulement les moyens consacrés à l'éducation sont insuffisants à toutes les étapes de la scolarité mais surtout que dès les premières années d'école les moyens manquent pour permettre à tous d'acquérir les bases élémentaires (lire, écrire, compter) et qu'ensuite il est bien difficile de rattraper un retard qui ne fait que s'aggraver.

Les enseignants seraient sûrement favorables à ce que les enfants, dès l'école primaire, reçoivent un enseignement par tout petits groupes, adapté justement aux cas les plus difficiles, afin que tous puissent ensuite suivre l'enseignement général. Au collège aussi il faudrait que l'État donne les moyens de faire progresser ceux qui ont besoin d'être davantage aidés et soutenus en augmentant le nombre d'enseignants, en réduisant les effectifs des classes, en multipliant le travail en petits groupes etc. Les enseignants ne se sont d'ailleurs pas privés de le faire savoir lors de multiples mouvements de grèves, locaux ou plus larges, contre le manque de personnel ou de locaux, ou lors des journées d'action dont une nouvelle est programmée pour le 8 décembre.

Mais les gouvernements successifs, au lieu d'engager des moyens à la hauteur des problèmes rencontrés, s'emploient au contraire à limiter des dépenses, voire à réduire le personnel et les moyens comme c'est le cas aujourd'hui.

Alors évidemment si on laisse la situation se dégrader, le fameux collège unique va être de plus en plus difficile à faire fonctionner. Et le ministre de l'Education nationale voudrait laisser chaque établissement libre de créer, dès la 4e, des classes orientant les jeunes vers un métier.

Ainsi après que les collèges ont été conduits dans une impasse complète, le gouvernement leur laisserait " la liberté " de débarrasser les classes d'enseignement général des élèves en difficulté qu'ils parqueraient dans des " classes de découverte des métiers ". Celles-ci serviraient de garderie jusqu'à 16 ans ou plus probablement de réservoir de main-d'oeuvre gratuite pour les entreprises qui feraient découvrir aux jeunes l'exploitation avant l'heure. A quand d'ailleurs la fin de la scolarité obligatoire jusqu'à 16 ans ?

Alors qu'on nous rebat les oreilles sur l'importance de la mobilité et la formation professionnelle, sur le manque de qualification qui expliquerait les difficultés à trouver du travail, il est question de renoncer à faire acquérir à un nombre important de jeunes les connaissances générales qui permettent ensuite d'apprendre un métier qualifié...et d'en changer éventuellement par la suite.

Inutile de dire que, si les projets du ministre étaient adoptés, les inégalités de traitement entre les jeunes s'aggraveraient encore dramatiquement, selon l'établissement fréquenté, les inégalités entre établissements empireraient et on irait tout droit à un démantèlement complet de l'Éducation nationale qui ne bénéficierait certainement pas aux jeunes des milieux les plus défavorisés.

Le sondage effectué pour la FSU vient à point nommé pour apporter de l'eau au moulin du gouvernement qui souhaite " réformer " l'enseignement en le décentralisant, quitte à sacrifier encore un peu plus des pans entiers de la jeunesse sur l'autel des profits patronaux. Il est à souhaiter que, sondage ou pas, les enseignants comme les parents d'élèves et les élèves se dressent ensemble, résolument, contre ces projets. Il faut imposer au gouvernement de consacrer les moyens nécessaires pour que les enfants des classes laborieuses ne soient pas systématiquement sacrifiés et puissent bénéficier eux aussi d'une véritable éducation.

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