La violence, c'est choquant, mais ça rapporte21/11/20022002Journal/medias/journalnumero/images/2002/11/une1790.jpg.445x577_q85_box-0%2C104%2C1383%2C1896_crop_detail.jpg

Leur société

La violence, c'est choquant, mais ça rapporte

Blandine Kriegel, conseillère de Chirac, vient de rendre son rapport sur la violence et la pornographie à la télévision. Elle y constate " un effet net de l'impact de la diffusion de spectacles violents sur le comportement des plus jeunes ". Quelle découverte ! Et comme remède, le rapport préconise l'interdiction de diffusion des " programmes violents ou pornographiques dans des tranches horaires susceptibles d'être regardées par les enfants, de 6 h 30 à 22 h 30 ". En voilà encore une idée nouvelle ! Cela fait treize ans qu'une directive officielle l'a prévu.

Quant aux consommateurs de films pornographiques, ils devraient désormais explicitement demander à recevoir ces films lorsqu'ils s'abonnent à certaines chaînes et ne pourraient y accéder qu'à l'aide d'un code.

Bref, cette mission " d'évaluation, d'analyse et de propositions " mise en place dès la formation du gouvernement a surtout réussi à monter en épingle... des banalités. Mais le but n'est-il pas atteint pour le gouvernement Chirac-Raffarin ? Prendre des poses pour fustiger la pornographie au nom de la défense de l'enfance, cela fait sérieux. Toutefois, comme il ne faut pas abuser ; en tout cas pas au point de léser les bénéfices que Canal+ et autres chaînes à péage tirent de la vente de cette marchandise, on a mis un peu de bromure dans la potion prescrite par Blandine Kriegel.

Le gouvernement fait mine de s'émouvoir de la violence des " spectacles " à la télé. Pourtant, comme ses prédécesseurs, il a sa part de responsabilité, non seulement dans les images de violence, mais dans la violence bien réelle dont ces images ne sont que le reflet et qui touchent des enfants dans leur chair.

La guerre du Golfe à laquelle s'associaient les dirigeants français était relayée par les chaînes françaises. Il n'était nul besoin de chaînes cryptées, de codes pour y avoir droit. Or ce spectacle aseptisé à coups de frappes prétendument chirurgicales qui cachaient les violences exercées à l'encontre de tout un peuple n'était-il pas aussi immonde que la violence donnée gratuitement ou vendue en spéculant sur le voyeurisme ?

La guerre du Golfe a été suivie d'un embargo sur l'Irak, qui n'a pas cessé jusqu'à maintenant. En privant les populations du minimum pour vivre et se soigner, les puissances qui l'ont décidé - la France y compris - ont fait encore bien plus de morts que ceux qu'ils ont provoqués par la guerre elle-même. Mais les tartuffes qui veillent au respect des bonnes moeurs à la télé peuvent être tranquilles : les reportages sur les victimes n'abondent pas sur les écrans... Y compris sur ces enfants kurdes, irakiens, afghans qui ne sont pas touchés par des images qu'ils n'ont pas l'occasion de voir, mais par des bombes " en vrai " et la misère grandeur nature.

Et aujourd'hui, il est de plus en plus question d'un nouveau spectacle de terrorisme des grandes puissances, qui, il y a fort à parier, sera disponible sur un large bouquet de chaînes 24 heures sur 24. Si les opérations militaires se déclenchent à nouveau sur l'Irak, au-delà des bombardements qui ont déjà lieu actuellement sans qu'on ne nous dise rien de leurs conséquences, eh bien on présentera aux jeunes, et aux moins jeunes, les responsables à différents niveaux comme des défenseurs du bien et de la morale, alors qu'ils ne sont que les commanditaires de meurtres à grande échelle !

Et puis, n'est-ce pas de la violence affichée que de nous montrer, presque chaque soir, Sarkozy en posture de shérif, parti en chasse contre telle ou telle catégorie de démunis ?

En fait, ce rapport est en lui-même une violence au bon sens. Il est peut-être choquant que l'on fasse du fric sur des spectacles qui banalisent la violence, la pornographie et la cruauté. Mais on oublie les jeux vidéo. Et surtout il serait plus urgent de mettre en cause ce système fondé sur la violence et la brutalité des rapports d'exploitation.

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