Esclavage ambulancier25/10/20022002Journal/medias/journalnumero/images/2002/10/une1786.jpg.445x577_q85_box-0%2C104%2C1383%2C1896_crop_detail.jpg

Courrier des lecteurs

Esclavage ambulancier

Depuis trois ans ambulancier dans une société privée de la région parisienne qui emploie quarante personnes, c'est chez moi que, pour gagner du temps, on me communique chaque soir par téléphone l'heure et le lieu de la première mission.

Cela peut être à 6 h 30 ou 9 h 15, je ne le sais pas à l'avance. Mais ce n'est pas toujours près du domicile, et c'est sans compter les embouteillages... Je termine entre dix et douze heures plus tard, c'est-à-dire parfois à 20 h ! En plus, chaque quinzaine, je suis de " permanence " le samedi ou le dimanche de 8 h à 20 h ; mais en fait, je fais exactement le même travail qu'en semaine. Je n'ai droit qu'à une demi-heure de pause pour déjeuner. J'alterne comme cela sans discontinuer une semaine de 48-53 heures sur cinq jours, et une semaine de 58-65 heures sur six jours, pouvant aller jusqu'à 250 heures mensuelles, sans compter la demi-heure de déjeuner. De l'esclavage !

Tout ce temps, nous le passons, avec mon coéquipier : dans le hall des urgences à attendre ou à remplir des dossiers administratifs ; dans les escaliers et ascenseurs des immeubles à transporter des patients ; au volant de l'ambulance dans la circulation de l'Île-de-France (ou sur les routes et autoroutes de France, jusqu'à Nancy, Marseille, Perpignan, Le Havre), avec un malade nécessitant des soins le plus souvent urgents, à surveiller ; auprès des patients dont l'état réclame parfois notre propre intervention - oxygène, massage cardiaque, etc. (la presse a même révélé, fin septembre, le cas de cet ambulancier obligé de procéder, en suivant des instructions téléphonées, à un accouchement délicat !). Et nous nous occupons aussi des cadavres... Aucune coupure n'est prévue, à part celle du repas, que nous sommes parfois amenés à sauter, et nous sommes durant tout ce temps à l'entière disposition du patron !

Résultat : quinze jours d'arrêt pour cause de dos bloqué, cet été. Eh bien, pour la loi, nous passons le quart de notre temps (notre " amplitude ", comme elle dit mensongèrement), à ne rien faire ! Un tour de passe-passe légal, un petit coefficient de 0,74, permet ainsi au patron de transformer mes 232 heures de juillet, par exemple, en 171 heures payées ! " Pour compenser les périodes d'inaction ", précisent L. Jospin, E. Guigou et J.-C. Gayssot, ministres " socialistes " et " communiste " comme chacun sait, dans leur décret du 1er juillet 2001. Du vol légal !

Ce décret vient en application de l'accord du 4 mai 2000 intitulé " réduction du temps de travail " (!) qui a préparé le passage aux " 35 heures " (et nous y sommes depuis le 1er janvier 2002)... Cet accord autorise tous les dépassements à de prétendues limites : les 12 heures d'amplitude journalière maximum se changent en 15 heures, jusqu'à 75 fois par an, les 130 heures supplémentaires (comprendre 130 : 0,74 = 176 heures) peuvent être dépassées si elles sont récupérées, etc. Merci à l'Union fédérale Route CFDT (nous dépendons des Transports et non de la Santé), à la CGC, à la CFTC, qui l'ont signé !

En fait, le patron n'a même pas besoin de recourir à ces dépassements : suivant l'accord, il peut nous faire travailler, sans aucune récupération, sur onze mois, 221 heures mensuelles en moyenne. Et étant donné le salaire minimum dans la profession (supérieur au Smic horaire), il n'aurait pas besoin de nous payer, pour cela, plus d'environ 1150 euros net (7550 F), heures supplémentaires et primes comprises ! J'ai moi-même touché au mois de juillet, pour 232 heures, 1190 euros, soit 7800 F !

La fatigue accumulée fait encourir des risques à ceux que nous transportons - et à ceux que nous croisons. De plus, le patron veut que pendant ce temps nous fassions le maximum de trajets. C'est ainsi qu'un collègue s'est vu reprocher d'avoir tardé à transporter un malade atteint du cancer des os, que la moindre secousse pouvait pourtant faire hurler de douleur. Par contre, le patron n'hésite pas à facturer à la Sécurité sociale un transport en véhicule léger comme s'il s'agissait d'un transport en ambulance, ou à lui facturer... l'attente qu'il ne nous paie pas ! À force de crier qu'on les étrangle (d'après leur littérature, depuis dix ans, le salaire minimum a trop augmenté et le décompte de notre temps de travail effectif est devenu trop généreux !), nos employeurs ont pourtant obtenu une augmentation du tarif Sécu en juillet, sans compter la compensation en janvier pour cause de " 35 heures "

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