Brésil : Lula president ?11/10/20022002Journal/medias/journalnumero/images/2002/10/une1784.jpg.445x577_q85_box-0%2C104%2C1383%2C1896_crop_detail.jpg

Dans le monde

Brésil : Lula president ?

Avec 47 % des voix, Lula, le candidat du Parti des Travailleurs (PT), a manqué de peu la majorité, au premier tour des élections brésiliennes, dimanche 6 octobre. Il y aura donc un second tour, le 27 octobre, qui l'opposera à José Serra, arrivé second avec 24 %.

Cette quatrième candidature à la présidence permettra donc très probablement à Lula d'être élu car son adversaire, Serra, aura bien du mal à rassembler sur son nom les voix recueillies par Ciro Gomes (12 %) et Anthony Garotinho (17 %), éliminés au premier tour.

Les divisions de la droite

Ministre de la Santé jusqu'à la campagne électorale, candidat favori des banquiers et du président Cardoso, Serra représente la continuité avec l'actuel gouvernement. Il porte donc le handicap de ses échecs, de la chute de la monnaie, du recul de l'activité économique et de tous les problèmes sociaux qui s'aggravent.

Il est théoriquement le candidat des principaux partis de la droite et du centre-droit, le PFL, le PMDB et le PSDB. Mais de nombreux barons des partis l'ont abandonné et ont soutenu tel ou tel de ses concurrents. Il ne fait donc pas l'unanimité de la droite autour de lui, au contraire de ce qu'avaient fait en leur temps Collor et Cardoso, qui avaient battu Lula aux élections précédentes.

Les candidats éliminés ont fait directement campagne contre Serra et contre le président Cardoso, cherchant à se donner une allure d'opposants. Ciro Gomes voulait faire oublier son passé d'homme de droite, son passage au ministère des Finances, où il avait succédé à Cardoso. Serra l'a violemment attaqué lors de ses premières émissions officielles, fin août, le montrant sur des vidéos en train d'injurier des auditeurs et de se moquer d'eux. On les voit mal se réconcilier aussitôt.

Quant à Garotinho, girouette politique lui aussi, militant évangéliste se revendiquant de la tradition populiste des présidents Getulio Vargas et Juscelino Kubitchek, il a tenté de se positionner à la gauche de Lula, à qui il reprochait «d'être passé du côté des banquiers». Il aurait du mal à faire maintenant campagne pour le candidat officiel de ces mêmes banquiers.

Ce n'est pas non plus pour des raisons de programme que les électeurs de Gomes et de Garotinho vont préférer Serra à Lula. En effet, les quatre candidats ont fait les même promesses : créer des millionsd'emplois, assurer la stabilité de la monnaie et la prospérité du pays, ne pas trop céder aux USA et au FMI, et lutter contre l'insécurité.

Lula s'engage... Vis-à-vis de la bourgeoisie

La population pauvre, les travailleurs, votent pour Lula et le PT par tradition, à cause de l'image combative qu'ils ont depuis plus de vingt ans, et par confiance dans les militants de base qu'ils côtoient tous les jours. Même s'ils n'ont pas énormément d'illusions dans les changements profonds qu'amènerait la présidence de Lula (ce qu'indiquent peut-être les 17 % d'abstentions, dans un pays où le vote est obligatoire), ils pensent qu'ils y gagneront bien un peu.

Mais Lula n'a plus son image des années 1980. Il y a longtemps qu'il s'est efforcé de gommer tout ce qui, dans son allure, son langage et son programme, rappelait les origines ouvrières de son parti et de lui-même. Et dans cette campagne il en a rajouté, multipliant les signes de fidélité à la bourgeoisie.

Il s'est allié au Parti Libéral, un parti de droite, lié a l'Eglise universelle du royaume de dieu, une secte évangéliste réactionnaire. Il a pris pour vice-président le leader de ce parti, José Alencar, le plus gros industriel textile du pays, le qualifiant comme «un des patrons les plus sérieux du Brésil» pour ses succès à l'exportation. Des patrons de poids font campagne pour lui. Il a promis de défendre les intérêts des «investisseurs» brésiliens et étrangers, et de respecter les accords passés précédemment avec le FMI. Il a été jusqu'à faire l'éloge de la politique économique de la dictature militaire (1964-1984), qui a coïncidé avec la croissance et le plein emploi.

Dans sa campagne télévisée, Lula promet aux patrons des allégements de charges. II se montre complaisamment, entouré de patrons qui l'acclament, lors d'une rencontre au siège de la Fédération industrielle de Sao Paulo (l'équivalent du Medef). Il a été ovationné aussi par les généraux lors d'une réunion au Club de l'armée de l'air à Rio.

Enfin, il est officiellement soutenu par deux des anciens présidents, José Sarney et Itamar Franco, tous deux de droite. Et même le président sortant, Fernando Henrique Cardoso, a affiché de la sympathie pour lui et avait annoncé que, au cas où Serra ne serait pas présent au second tour, il soutiendrait Lula.

Une situation de crise

Lula a donc de gros atouts pour le second tour, mais ces atouts n'annoncent rien de bon pour les classes laborieuses brésiliennes. Le Brésil n'est pas encore au bord de la faillite économique et de l'explosion sociale, comme l'Argentine voisine. Mais la crise s'y manifeste partout. Le chômage touche officiellement plus de 7 % de la population, 20 % dans la zone de Sao Paulo, la plus grosse concentration industrielle du pays. Les licenciements se poursuivent. Les privatisations se sont multipliées depuis huit ans, et d'autres sont annoncées, comme celle du Banco do Brasil, la plus grosse banque, qui dépend de l'État fédéral. La monnaie, le real, a perdu plus de 40 % de sa valeur depuis le début de l'année et les salaires sont restés bloqués.

Les bourgeois tirent profit de cette situation, dont la classe ouvrière est victime. Les quatre plus grandes banques déclarent, pour le premier semestre de l'année, 2 milliards de dollars de bénéfices. Quant à la croissance monstrueuse de la dette, c'est une bénédiction pour les riches et les financiers de tous pays, mais aussi brésiliens, qui empochent les remboursements à des taux qui vont jusqu'à 50 %. La dette publique frôle les 300 milliards de dollars, près du double de la dette privée. Mais sur ces 450 milliards au total, la dette extérieure représente 210 milliards, et la dette interne 240. La bourgeoisie brésilienne a les dents longues !

Lula s'est engagé à servir cette bourgeoisie, ainsi que ses parrains impérialistes. Il est sans doute le mieux placé, par son passé et son image, pour faire accepter à la population pauvre de payer la crise pour redresser l'économie du pays et assurer les profits. Et s'il est élu président le 27 octobre, il aura pour cela une raison supplémentaire : il lui faudra constituer un gouvernement majoritaire. Il ne pourra le faire qu'en contractant des alliances. Une des plus probables serait avec le PSDB, le parti de son concurrent de droite Serra et du président sortant Cardoso.

Alors, l'élection de ce président « de gauche » au Brésil pourrait bien être l'annonce d'un gouvernement qui, comme tant d'autres, se servira de son crédit auprès des couches populaires pour leur faire accepter des sacrifices au nom du sauvetage de l'économie... et des profits de la bourgeoisie.

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