Toulouse : Un an après l'explosion d'AZF20/09/20022002Journal/medias/journalnumero/images/2002/09/une1781.jpg.445x577_q85_box-0%2C104%2C1383%2C1896_crop_detail.jpg

Leur société

Toulouse : Un an après l'explosion d'AZF

L'explosion d'AZF, à Toulouse, c'était il y a un an. Aujourd'hui, les " victimes sociales " se comptent par centaines dans les entreprises du pôle chimique, sous-traitantes ou avoisinantes : démissions forcées, licenciements, mutations, plans " sociaux ". Et ce n'est pas fini. Un an après l'explosion, c'est encore aux sinistrés et aux salariés de payer la plus grosse partie de la note.

Les sinistrés attendent toujours.

Tous ceux qui sont passés par Toulouse cet été en empruntant la partie sud de la rocade auront pu constater de visu ce qu'il reste des dégâts qui ont suivi l'explosion d'AZF du 21 septembre dernier : des deux côtés de cette rocade, bâtiments et toitures éventrés, tôles fracassées, tas de gravats. Il y a là les bâtiments dévastés de l'Afpa, l'immeuble sans fenêtres ni cloisons d'EDF-GDF, les hangars et les bus détruits de la Semvat. A peine plus loin, un centre d'enfants, deux lycées professionnels, l'institut de génie chimique, des établissements privés Boyé, Brossette, Darty, Speedy, détruits eux aussi. Deux écoles sont fermées et deux autres ne rouvriront qu'en octobre. Il y a encore des bâtiments dont la remise en état est partielle ou totale : une cité universitaire, un centre France Télécom et l'hôpital Marchant. Le paysage est dominé par la grande tour de l'urée de l'usine AZF, que le maire, Douste-Blazy, veut détruire car elle serait " un symbole péjoratif " pour les Toulousains !

Trente morts, des milliers de blessés ; parmi ces derniers il y a tous ceux qui portent encore les stigmates de l'explosion, le visage défiguré, une cécité totale ou partielle ou un handicap définitif. Le nombre de pathologies auditives et psychologiques serait en augmentation (de 7 à 12 %) parmi la population qui a été directement exposée aux effets de l'explosion.

Et il y a les 41 000 logements sinistrés. Un an après, le quart est encore en travaux. La plupart des indemnisations ne sont pas liquidées. Sur les 135 mobile-homes installés au lendemain du sinistre, 56 familles ont trouvé à se reloger, 40 espèrent le faire fin septembre et 40 autres attendent des solutions diverses. Comme le constate une déclaration du collectif des " sans-fenêtres " qui occupe l'entrée d'un bâtiment de la cité depuis le 16 septembre :

" Rien n'est réellement réglé. Il reste encore une cinquantaine de familles dans des mobile-homes. Après avoir gelé cet hiver, elles ont suffoqué cet été. Dans plus de la moitié des logements sinistrés, les travaux ne sont pas finis. Il reste même des appartements qui n'ont pas encore leurs fenêtres. Il reste environ 5 000 dossiers d'indemnisation qui ne sont pas réglés. Les expertises médicales sont rendues très souvent au désavantage des sinistrés, et les délais de contre-expertise sont très longs. Aucune mesure globale n'a été prise pour l'exonération des taxes mobilières et foncières. A l'évidence les procédures traditionnelles mises en place ne fonctionnent pas. Les assurances, les experts et Equad (un assureur d'AZF) ne savent pas, ou ne veulent pas régler les problèmes à la satisfaction des sinistrés ".

Le journal local le dit lui-même : " Les tracasseries infligées par les experts du groupe TotalFinaElf aux sinistrés et aux blessés ont permis de"limiter" la facture à 1 940 millions d'euros ". Facture qui est loin d'être payée.

Licenciements et plans sociaux

Les conséquences de l'explosion d'AZF sur l'emploi ont été durables. La direction départementale du travail, de l'emploi et de la formation professionnelle estimait à 600 les suppressions d'emplois recensées au 31 mai 2002 dans des entreprises sous-traitantes ou voisines. Trois mois après ce constat, on ne sait pas précisément le nombre de travailleurs licenciés. Et puis il faut bien évidemment ajouter à la liste des victimes sociales ceux qui travaillaient dans les entreprises du pôle chimique.

Pour la SNPE (Société Nationale des Poudres et Explosifs) voisine d'AZF, l'État propriétaire a décidé l'abandon de la production de phosgène tout en conservant la production du carburant d'Ariane. Elle employait avec ses filiales sur le site chimique de Toulouse 620 travailleurs. La direction a annoncé en CCE la suppression de 402 emplois. Le jour de l'annonce l'usine était en grève. Les dirigeants syndicaux dénonçaient la direction qui, à l'occasion de la fermeture de la production de phosgène, et " dans une logique financière " disaient-ils, " en profitait pour supprimer des unités qui auraient pu reprendre ". Ces mêmes responsables syndicaux réclament toujours une " réindustrialisation du site " que ne veut pas la SNPE. Une revendication que tout le monde dans l'usine comprend comme " le retour du phosgène à Toulouse pour sauver nos emplois ". Ce qui n'est pas le meilleur moyen pour solidariser les travailleurs avec les sinistrés.

Pour AZF aucun des salariés n'y a perdu sur son salaire, ni ceux qui ont été " prêtés " à d'autres usines du groupe, ni ceux qui restent sur Toulouse. Côté syndical, la CGT et la CFDT se sont lancées dans une négociation surréaliste avec les représentants de Total. Qu'on en juge : Total serait d'accord pour un plan social exemplaire, à condition qu'il ne serve pas d'exemple justement aux autres salariés de la branche chimie du groupe, qui est en difficulté. Ainsi, l'usine de Grande Paroisse à Waziers subit un plan social et les syndicats de l'usine réclament déjà le même traitement qu'à Toulouse. Cela dérange quelque peu la direction qui voudrait bien traiter le cas de Toulouse sans donner des idées revendicatives à d'autres salariés. Les dirigeants de Total ont donc demandé aux syndicalistes toulousains d'être " imaginatifs " pour résoudre leur dilemme. La CGT et la CFDT, fort compréhensives, ont aussitôt transmis la volonté patronale aux travailleurs... pour ne pas gêner Total. Et ces syndicats ont été tellement " imaginatifs ", qu'il a été hors de question, lors de la venue de Desmarest à Toulouse le 30 août, d'envisager une quelconque action revendicative.

Le plan social qui va être signé par la CGT et la CFDT prévoit 174 départs en préretraite qui ont déjà eu lieu en juin. Il prévoit en outre pour 65 travailleurs âgés entre 48 et 50 ans de rester sur le site jusqu'à leurs 50 ans et un départ en préretraite. Tous ces départs se font, primes comprises, à 95 % du salaire. Restent les autres, 156 qui sont incités à accepter une mutation sur le groupe (prime de 8 mois de salaire, prime de 0,4 mois de salaire par année d'ancienneté et 15 000 euros). La moitié aurait accepté de " s'expatrier " à ces conditions. Mais il y a ceux qui refusent une mutation ailleurs qu'à Toulouse. Total les ferait partir avec 24 mois de salaire, et 0,6 mois de salaire par année d'ancienneté, le tout accompagné de la panoplie habituelle sur les possibilités bidons de reclassement. Mais ces derniers veulent avant tout un travail à Toulouse sans perte de salaire, et ils ont raison. Il n'y a aucune raison qui justifie que les travailleurs y perdent quoi que ce soit, alors que le groupe Total fait des milliards de bénéfices et est pleinement responsable de l'explosion.

Autant il est inacceptable de tolérer que des bombes à retardement menacent les populations des quartiers limitrophes, autant il est inacceptable que les salariés de ces entreprises paient une seconde fois la catastrophe. Que les gros actionnaires de Total et les pouvoirs publics assument le salaire, le reclassement et l'emploi de tous les salariés concernés !

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