Presse et Edition : La voix de son maître20/09/20022002Journal/medias/journalnumero/images/2002/09/une1781.jpg.445x577_q85_box-0%2C104%2C1383%2C1896_crop_detail.jpg

Dans les entreprises

Presse et Edition : La voix de son maître

La bataille fait rage, dans le monde de la presse et de l'édition, autour de Vivendi Universal Publishing (VUP) que sa maison-mère, Vivendi, a décidé de vendre pour réduire son endettement. Bien que l'affaire ne soit pas encore définitivement bouclée pour ce qui est de sa branche édition - VUP est un tel géant en son domaine qu'aucun acheteur unique ne semble en mesure, ou avoir envie, de le reprendre en entier -, deux noms sont sortis du lot des concurrents se disputant certains bons morceaux de Vivendi : Dassault et Lagardère. Des noms bien connus du public pour être ceux des deux principaux fabricants et marchands d'armes du pays, mais aussi pour détenir déjà une grosse part de tout ce qui s'édite et se lit dans ce pays.

Lagardère, en ce qui le concerne, dirige en effet le groupe d'armement Matra et possède d'importantes participations, souvent majoritaires, dans les médias : Europe 1 et Europe 2, la chaîne Canal Thématiques, Match, Le Journal du Dimanche, L'Événement, Elle, Télé 7 Jours, France Dimanche, Femina, Entrevue, Zurban, Pariscope, Nice-Matin, Corse-Matin, La Provence, Var-Matin. Outre le fait d'être associé avec Le Monde au capital du Midi Libre, il possède aussi un quart du capital du Parisien-Aujourd'hui et de L'Équipe. Avec l'autre volet de son groupe, Hachette, qui contrôle une bonne partie de la distribution de presse, il occupe aussi une bonne place dans l'édition, notamment scolaire par le biais de Hachette Éducation et de Hatier. Mais cela ne suffit pas à Lagardère, qui s'est précipité sur la branche édition de VUP avec l'approbation bruyante d'Aillagon, le ministre de la Culture et de la Communication de Raffarin. Le gouvernement voit en effet d'un bon oeil le fait que plus de la moitié de toutes les sociétés d'édition de ce pays - Larousse, Le Robert, Robert Laffont, Julliard, Plon, Seghers, Perrin, Les Presses de la Cité, Belfond, Les Presses de la Renaissance, 10/18, Pocket Jeunesse, Fleuve Noir, Bordas, Nathan, Dalloz, Dunod, Armand Colin (et on en oublie !) - passent sous la coupe de Matra.

Lagardère deviendrait donc le leader, et de très loin, de l'édition en France, et aurait une position de quasi-monopole (avec, entre autres, 80 % des éditions scolaires, 70 % de celles des livres de poche) si, le 25 septembre, le conseil d'administration de Vivendi entérine cette vente dont le prix - parce que sans doute astronomique - n'a pas été divulgué.

Dassault, lui, aurait mis au moins 330 millions d'euros sur la table pour racheter à VUP L'Express, L'Expansion, La Lettre de l'Expansion, La Vie Financière, l'Entreprise, Lire, L'Etudiant, Maison Magazine, Maison Française, etc., plus une société d'édition de journaux gratuits, ces gros capteurs de publicité. Cela s'ajoute désormais au tableau de chasse de Dassault qui affiche, entre autres trophées, Le Journal des Finances, Valeurs actuelles, Spectacle du monde, plusieurs périodiques franciliens, et surtout, depuis qu'il est devenu le principal actionnaire de la Socpresse (groupe Hersant), Le Figaro, Le Figaro-Magazine, Le Figaro Madame, TV Magazine, Paris-Turf, L'Indicateur Bertrand, Presse Océan, Le Courrier de l'Ouest, Le Maine Libre, Le Progrès, Le Dauphiné Libéré, Nord-Eclair, plus une forte part du capital de La Voix du Nord et de Rossel, n° 1 de l'édition francophone en Belgique.

Ainsi, entre Lagardère et Dassault, c'est plus de la moitié, sinon les trois quarts de tout ce qui s'édite comme livres, revues, journaux qui se trouverait désormais aux mains des deux principaux marchands d'armes de ce pays. Cela, au nom de la défense... de " la culture française ", puisque Lagardère, chaudement approuvé par les pouvoirs publics, présente sa razzia comme destinée à contrer les fonds de pension américains qui auraient eu des vues sur VUP ! Cela peut faire sourire, mais cela rappelle surtout que lesdits pouvoirs publics n'ont jamais rien eu à refuser aux Dassault et autre Lagardère, dont les empires industrialo-financiers se sont bâtis quasi exclusivement grâce aux généreuses commandes d'armements de tous les gouvernements successifs, de droite comme de gauche.

Pour les Lagardère et Dassault, comme pour Messier - l'ancien patron de VUP - et finalement comme pour n'importe quel capitaliste, la culture, la presse sont des affaires comme les autres, ni plus ni moins : ils y investissent seulement pour que cela leur rapporte. Avec, en prime, le fait que la " liberté de la presse " est d'abord la liberté pour les capitalistes - et pas seulement ceux de l'armement - de défendre, à des millions d'exemplaires chaque jour, leurs intérêts, ceux de leur classe, dans leurs journaux.

Partager