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Grande-Bretagne : Un Eron à l'anglaise ?
Début septembre British Energy, seul opérateur privé de centrales nucléaires en Grande-Bretagne, annonçait que, sans une aide de l'État, il devrait se déclarer en faillite, faute de pouvoir faire face à une échéance de 450 millions d'euros. Blair n'avait guère le choix. Ne pouvant risquer la mise hors service de centrales fournissant près de 25 % de l'électricité du pays, il a ouvert à l'opérateur un crédit de 690 millions d'euros.
Et pourtant, bien des indices laissent penser que, derrière les difficultés financières de British Energy, se cache un scandale Enron à l'anglaise.
D'abord il semblerait que, pour faire monter le prix de vente en gros de l'électricité (dont ses bénéfices dépendent), British Energy aurait provoqué des chutes artificielles de production en arrêtant plusieurs réacteurs sous des prétextes aujourd'hui mis en doute. Les chutes ont été si brutales que des dizaines de milliers de foyers ont été privés de courant à plusieurs reprises en Ecosse.
On sait également aujourd'hui que, malgré le déficit de plus de 800 millions d'euros essuyé l'an dernier, British Energy n'en a pas moins versé 80 millions d'euros de dividendes à ses actionnaires en mars dernier. Le montant exorbitant de son endettement (on l'estime à plus de deux milliards d'euros) correspond en gros à celui des acquisitions extravagantes que British Energy a faites en Amérique du Nord ces dernières années. Il est vrai que, dans ce domaine, British Energy a agi comme toutes les entreprises énergétiques du pays qui se retrouvent aujourd'hui avec une masse considérable de dettes et des filiales américaines dont la valeur s'est considérablement dépréciée et qui ne leur rapportent pas grand-chose.
Enfin, et c'est sans doute le plus grave, on a appris à l'occasion des derniers événements que le fonds dit de " décommissionnement " confié à la gestion de British Energy, fonds qui doit servir à couvrir les frais de mise hors service de ses centrales entre 2010 et 2015, dépassait à peine les 600 millions d'euros. Alors que les frais en question sont estimés à plus de 8 milliards d'euros ! Ce qui a conduit un certain nombre de commentateurs à se demander si British Energy ne s'était pas tout simplement servi dans la caisse.
Pour leur part, les dirigeants de British Energy se gardent bien d'apporter des réponses à de telles questions. Ils se contentent d'accuser le faible niveau du prix de gros de l'électricité, le coût " exorbitant " du recyclage des déchets radio-actifs. Ils poussent même le culot jusqu'à dénoncer l'" irresponsabilité " du gouvernement qui leur impose ce recyclage, alors que leurs concurrents américains vont réduire leurs coûts de production grâce à Bush qui leur a donné l'autorisation de transformer tout un massif montagneux en dépotoir nucléaire !
En 1996, lors de la privatisation de British Energy, Blair avait lui-même dénoncé le danger de laisser le nucléaire aux mains d'actionnaires dont le seul motif était la recherche du profit. On aurait donc pu s'attendre à ce qu'il profite de l'occasion pour ramener British Energy dans le secteur public. D'autant que le crédit qu'il vient de lui consentir représente à peu près l'équivalent de la valeur boursière de l'entreprise, du fait de la chute brutale du cours de ses actions depuis le mois de mai dernier.
Mais nous ne sommes plus en 1996 et Blair n'est plus sur les bancs de l'opposition. Il n'est plus question pour lui de mettre en cause le droit des capitalistes de faire des profits aux dépens de la sécurité de la population. Non seulement il n'a assorti son opération de sauvetage d'aucune condition, mais il l'a même agrémentée d'une énorme réduction d'impôt. Ainsi les contribuables vont-ils financer le renflouement des requins du nucléaire, mais du même coup aussi augmenter les risques que l'avidité de ces requins leur font courir.