Argentine : Survivre face au chaos et à la misère13/09/20022002Journal/medias/journalnumero/images/2002/09/une1780.jpg.445x577_q85_box-0%2C104%2C1383%2C1896_crop_detail.jpg

Dans le monde

Argentine : Survivre face au chaos et à la misère

Dans l'Argentine à l'heure de la crise économique, la situation est marquée par une augmentation très visible de la misère. La capitale, traditionnellement plus riche et qui reste dans les études statistiques un des secteurs où l'on trouve encore la plus forte offre d'emplois, est désormais submergée par les pauvres qu'engendre un chômage officiellement chiffré à 50 %.

A côté des petits métiers installés dans la rue depuis toujours, de la femme bolivienne qui vend quelques fruits et légumes à l'ombre des grandes surfaces officielles aux marchands de petits objets alignés les uns à la suite des autres et qui forment une ligne parallèle aux commerces officiels, est venue s'ajouter une population qui arpente la ville toute la journée majoritairement composée d'enfants ou d'adolescents, mais où on trouve aussi des adultes. Elle propose de menus objets (stylos, piles, etc.) dans les lieux publics, cafés notamment, ou dans la rue. Certains le font toute la journée mais il y a aussi des écoliers qui y participent avant ou après l'école.

Comme toujours, le chiffrage des statistiques, en lui-même impressionnant, masque et atténue la réalité du chômage. Les " petits boulots " traditionnels de vendeurs de rues sont comptés au même titre qu'un vrai emploi dans une entreprise.

L'absence de tri des ordures ménagères a développé massivement un nouveau " petit boulot ", celui des cartoneros. Tous les jours, à partir de la fin de la journée, des hommes, des femmes, souvent accompagnés de leurs enfants, retournent tous les sacs poubelle de la ville pour y prélever cartons et papier qui sont rachetés au poids à un prix évidemment dérisoire. On peut voir des groupes d'enfants arracher des morceaux d'affiches publicitaires ou politiques, collées sur les murs, pour augmenter leur poids de papier. Des trains entiers de cartoneros montent tous les soirs vers la capitale.

Dans certains quartiers, y compris des quartiers de la classe moyenne, les riverains qui continuent à se réunir en assemblées de voisins se sont dit aussi qu'ils pouvaient peut-être également trier les cartons pour faire un geste vis-à-vis des cartoneros.

Cette activité ferait vivre 350 000 familles. Les cartoneros gagneraient autant qu'un salaire ouvrier moyen et certains une fois et demie cette somme (400 à 600 pesos). Beaucoup d'entre eux, il y a quelques semaines encore, étaient des travailleurs d'entreprise ou des services publics, et ils se considèrent comme des travailleurs et pas des déclassés, mais ils ont été victimes des dernières vagues de licenciements qui depuis le début de l'année ont jeté dans la rue des dizaines de milliers de personnes. Le plus souvent, ces licenciements ne sont accompagnés d'aucune indemnité, et parfois on essaye de ne pas leur payer ce qui leur est dû. Les cabinets d'avocats, spécialisés dans la législation du travail, redoublent d'activités.

Des millions d'affamés

La faim est devenue l'un des problèmes de l'heure. Une question tenaille bien des Argentins : pourquoi l'Argentine qui fut longtemps, et qui reste encore sur le plan de l'exportation, un des " greniers du monde ", n'arrive-t-elle plus à nourrir ses enfants ? L'industrie agroalimentaire est l'une des plus développées d'Amérique du Sud, elle reste l'une des sources d'enrichissement, depuis toujours, de l'oligarchie terrienne, mais le fait demeure : faute d'être solvables, et en l'absence de réponse organisée des pouvoirs publics dont les caisses sont vides, les millions de pauvres, qui ne sont pas la priorité du gouvernement Duhalde, ne parviennent à se nourrir, et donc à survivre, qu'en multipliant les initiatives solidaires.

Dans certaines écoles, les cantines restent ouvertes pendant le week-end pour assurer au moins un repas aux enfants. La plupart des organisations collectives, des syndicats aux partis en passant par les associations, ont multipliés les " comedores ", des endroits où l'on peut manger. Toutes ces initiatives, multiples, se développent à un échelon très local. Ces cantines de quartier servent parfois de cinquante à quatre-vingt repas par jour. Il n'y a aucune initiative globale du type des " restaurants du coeur ". Après certaines émeutes de décembre, des grandes surfaces comme Carrefour ont distribué de la nourriture mais cela n'a pas eu de suite.

De multiples initiatives pour servir des repas

La faim développe de multiples solidarités. Certains restaurateurs, dans les quartiers populaires de la capitale, distribuent à manger aux enfants (pain, pâtes ou gnocchis) et ont ainsi des " pensionnaires " qui passent tous les jours. Ailleurs, le restaurateur ou ses employé(e)s mettent à part, dans les restes, ce qui n'a pas été touché dans la journée et qui peut être consommé. Bien des poubelles sont ainsi visitées pour y trouver de la nourriture.

Des organisations de chômeurs ont parfois réquisitionné dans leur quartier un local vide, une école abandonnée par exemple, pour y installer une boulangerie (ils ont fabriqué eux-mêmes leur four) où se confectionnent tous les jours petits pains et croissants, moyennant 14 ou 15 heures de travail par jour. Le même lieu accueille chaque soir, vers 18 heures, le troc, qui en réalité n'est qu'un marché parallèle où les habitants du quartier viennent vendre un peu d'épices, des petits gâteaux fabriqués par les femmes dans la journée ou des effets personnels désormais superflus. Au niveau du quartier se créent ainsi des contacts et des solidarités entre des chômeurs et des travailleurs ayant encore conservé leur emploi. De même, étant donné le bas niveau des salaires, bien des travailleurs ayant conservé leur emploi se groupent maintenant à plusieurs familles pour acheter ensemble la nourriture à des prix plus avantageux.

La détérioration des services publics, et singulièrement des transports, a aussi contribué à faire que bien des gens ne quittent plus guère leur quartier car même le bus, pourtant relativement bon marché (et l'un des seuls transports collectifs un peu fiable), est désormais hors de leur portée.

Pénurie d'argent et colère des classes moyennes

Le manque de devises, le manque d'argent rend l'activité économique difficile. Beaucoup de commerçants ont très peu de monnaie et doivent constamment aller chez les commerçants voisins pour pouvoir rendre la monnaie.

La dévaluation du peso, dont la valeur a été divisée par quatre depuis le début de l'année, a entraîné bien des drames. Une partie de la classe moyenne, qui avait réussi pendant les années quatre-vingt-dix à mettre de l'argent de côté l'avait parfois engagé dans des opérations financières qui se sont révélées avec l'effondrement économique hasardeuses. Mais des travailleurs licenciés, par exemple par France Télécom, et donc dans des conditions financières rappelant les licenciements en Europe, ont vu ainsi leur indemnité de licenciement partir en fumée.

Les membres des classes moyennes les plus en colère manifestent régulièrement devant les banques ou encore devant les sièges des pouvoirs publics, en dénonçant tout à la fois " les voleurs et les corrompus ", mais en jurant aussi fidélité au drapeau et à la Constitution, qui était censée protéger la propriété privée... mais qui n'a pas protégé leurs économies !

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