- Accueil
- Lutte ouvrière n°1779
- Espagne : Aznar veut interdire le parti basque Batasuna
Dans le monde
Espagne : Aznar veut interdire le parti basque Batasuna
Le 26 août dernier, une session spéciale du Parlement espagnol a adopté, par un vote unissant l'opposition socialiste et le parti de la droite gouvernementale de José Maria Aznar, une motion commune exigeant l'interdiction du parti basque Batasuna (le nouveau nom d'Herri Batasuna, Unité populaire), du fait de ses liens avec l'organisation terroriste basque ETA. Parmi les rares votes " contre ", il y avait ceux des députés nationalistes basques modérés du PNV et de députés catalans. La Gauche Unie (le PC et ses alliés) s'est abstenue. Parallèlement, le juge Garzon (celui qui avait engagé des poursuites contre Pinochet) mène une procédure contre le parti basque. Aznar renvoie ainsi aux calendes toute tentative de règlement politique.
A peine la motion parlementaire votée, les comptes bancaires de Batasuna étaient gelés et ses locaux interdits. Le parti basque pouvant trouver un refuge légal du côté français, Aznar va réclamer l'aide de Paris. Si le gouvernement Raffarin est aussi zélé que vis-à-vis de Berlusconi pour l'extradition d'un ancien brigadiste italien fin août, les jours d'existence légale de Batasuna sont comptés.
Cette organisation est née en 1978, trois ans après la mort de Franco, et milite, comme ETA, pour l'indépendance d'un grand Pays basque, qui regrouperait l'actuel Pays basque espagnol, le Pays basque français et la Navarre. Il y a déjà eu plusieurs tentatives d'interdiction de ce parti au début des années quatre-vingt mais, en 1986, le tribunal suprême espagnol avait accepté sa légalisation, lui donnant ainsi accès au mode de financement légal des partis politiques. Batasuna a subi un revers aux élections régionales basques de mai 2001, obtenant 10,1 % des suffrages contre 17,9 % trois ans auparavant. Il compte sept élus au Parlement régional basque, huit au Parlement de Navarre et contrôle 62 mairies à travers 890 élus locaux. Des centaines de ses dirigeants et de ses élus ont été poursuivis ou arrêtés dans le passé pour leurs liens avec ETA, sans pour autant ralentir les attentats.
Selon une déclaration d'Aznar, " le compte à rebours commence pour le bras politique de la terreur, ils n'auront pas une minute, pas une seconde de répit, ni de la part du gouvernement, ni des forces politiques démocratiques, ni des juges ". Trois heures avant la session parlementaire, le juge Garzon avait ordonné de son côté la suspension pour trois ans des activités du parti basque.
Les autorités espagnoles espèrent ainsi empêcher la présence de Batasuna aux prochaines élections municipales. De là à mettre hors jeu l'aile légale du nationalisme radical basque, il y a de la marge. La justice espagnole a déjà interdit deux mouvements de jeunesse basques (Jarraï et Segi), un prétendu " appareil politique " d'ETA (Ekin) et le collectif des prisonniers (Gestoras pro Amnistia), sans pour autant en finir avec l'aile radicale du mouvement nationaliste basque. ETA, en effet, poursuit inlassablement sa politique d'attentats aveugles.
Le geste de fermeté des autorités espagnoles n'est certainement pas dénué d'arrière-pensées électorales en direction de la fraction de la population indignée par la politique de terrorisme aveugle d'ETA. Mais il ne résoudra rien et le nationalisme basque radical peut même en tirer avantage. Au Pays basque espagnol, cette décision fait déjà l'unanimité contre elle non seulement des 10 % de la population qui sympathisent avec ETA mais aussi de la fraction représentée par les partis nationalistes modérés comme le PNV et Eusko Alkartasuna, traditionnellement opposés au terrorisme. Et elle apporte de l'eau au moulin de la direction d'ETA, qui explique depuis toujours qu'il ne peut y avoir de démocratie pour les nationalistes basques tant qu'ils ne se seront pas séparés de l'État espagnol et aussi que la lutte armée vaut mieux que la lutte politique.
Le choix d'Aznar, qui devrait déboucher sur l'interdiction pure et simple de Batasuna, confirme non seulement le refus de l'État espagnol de rechercher un quelconque règlement politique comparable à la solution adoptée par le Royaume-Uni en Irlande du Nord, mais il invite finalement l'aile terroriste du nationalisme basque à redoubler d'activité.
Dans un entretien au quotidien Le Monde, José-Ignacio Ormaetxe, chef de la police du Pays basque espagnol, un de ceux qu'ETA dénonce pourtant comme " traîtres ", considère d'ailleurs que " cette mesure est une victoire de l'ETA. (...) Avec les dernières décisions, on anéantit toute voie politique. (...) De tout cela, il ne peut sortir rien de bon. La société basque, qui est une société saine, va beaucoup souffrir. (...) L'ETA, qu'on le veuille ou non, a un support social suffisamment important dans la société basque. (...) Nous savons que chaque fois que nous neutralisons un commando, un autre est en train de naître. (...) C'est une histoire interminable. Il faut donc négocier, sinon, cela peut durer et durer ".
Evidemment le gouvernement Aznar prétend que cette décision va " asphyxier " le mouvement nationaliste qui serait, selon lui, " à bout de souffle ". En réalité, prisonnier de sa démagogie, le chef du gouvernement se moque bien de savoir si cette décision ne va pas au contraire déboucher, en représailles, sur une nouvelle vague d'attentats dont les conséquences seront payées surtout par la population.