Ukraine : Catastrophes en série23/08/20022002Journal/medias/journalnumero/images/2002/08/une1777.jpg.445x577_q85_box-0%2C104%2C1383%2C1896_crop_detail.jpg

Dans le monde

Ukraine : Catastrophes en série

L'Ukraine vient de subir deux catastrophes majeures : aérienne, dans l'ouest du pays fin juillet ; minière, quelques jours plus tard, dans le bassin minier jouxtant la Russie. Ces deux drames survenus coup sur coup jettent un éclairage sinistre sur l'état réel du pays.

Dans les airs...

À Lvov, lors de la célébration de l'anniversaire d'un corps d'armée aérien, un Sukhoï-27 s'est écrasé sur la foule, tuant 85 spectateurs et en blessant plus de 200. Les responsables civils et militaires locaux avaient organisé cette exhibition pour faire vibrer la fibre patriotique dans cette ville que les nationalistes ukrainiens considèrent comme leur fief. Le spectacle ayant viré à la tragédie, le président Koutchma a décrété une journée de deuil, en appelant l'Église à la rescousse. L'état-major, lui, a trouvé des boucs émissaires : les deux pilotes, blessés et mis aux arrêts.

Une partie de la presse a critiqué l'irresponsabilité de ceux qui, encensant la " glorieuse aviation ukrainienne " devant les caméras, ont poussé les pilotes à prendre des risques, et à en faire porter les conséquences à la foule. Elle a aussi publié des informations sur cette armée de l'air dont les pilotes s'entraînent en moyenne 3 à 5 heures par an, faute de moyens, contre 140 à 150 heures de vol pour leurs homologues des forces de l'OTAN. On a ainsi appris que, depuis l'indépendance de l'Ukraine, fin 1991, pas une seule pièce de rechange n'aurait été commandée au constructeur des Sukhoï, dont on imagine l'état d'entretien. La presse en a profité pour rappeler qu'en onze ans, 17 accidents aériens ont endeuillé le pays. Sans compter l'avion de ligne russe abattu par un missile ukrainien au-dessus de la Crimée, en octobre 2001, la première réaction de Koutchma ayant été alors de dire : " Cela peut arriver à tout le monde "...

Les " révélations " faites par les journaux à l'occasion de ce drame ne sont bien sûr pas neutres. Elles font partie de la lutte qui oppose, au sommet de l'État, un président politiquement discrédité par les scandales en tout genre et ceux qui guignent sa place, dont ses nombreux anciens Premiers ministres. Cela reflète aussi les rivalités entre les différents appareils de l'État ukrainien, et ceux qui les tiennent, qui se disputent ce qu'il reste du budget, une fois que les dirigeants et clients des coteries au pouvoir se sont largement servis. Mais ces informations en disent long également sur le délabrement de l'armée, et plus largement du pays, comme sur le comportement des responsables politiques. À bien des égards, cela évoque un pays sous-développé à celui qui aurait oublié qu'avant la disparition de l'Union soviétique, fin 1991, l'Ukraine faisait partie de ce qui était considéré comme la seconde puissance mondiale. Depuis, avec la désorganisation économique qui s'en est suivie, avec le pillage effréné de l'économie et des finances publiques par les prétendues " élites " des États issus de la désintégration de l'URSS, ces pays, loin de connaître la prospérité promise par leurs dirigeants et les bons apôtres occidentaux du retour au capitalisme, ont pris le chemin de la clochardisation économique. Et de l'enfer pour leurs travailleurs, comme le rappelle la catastrophe minière de Donetsk, la troisième en un mois en Ukraine.

... et sous terre

Celle-ci a fait un nombre de morts comparable à celle de Lvov, mais en suscitant moins de commentaires et de coups fourrés dans la presse et les allées du pouvoir. En effet, les autorités n'ont pas pu en profiter pour jouer du nationalisme antirusse (les mineurs sont russophones, comme la majorité de la population de l'est du pays, alors que les Sukhoï de Lvov ayant été fabriqués en Russie du temps de l'URSS, cela sert aux milieux dirigeants pour prôner un rapprochement accru avec l'OTAN et ses armements, sinon un développement de la production militaire nationale). Et surtout, à Donetsk, les victimes sont des mineurs. Or, la peau d'un travailleur ne compte pas pour grand-chose en Ukraine quand on lit que, pour les deux premiers drames miniers de juillet (41 morts), le Parquet général fait état de " violations des règles de sécurité "...

C'est lors de travaux dans une galerie à la mine Zasiadko qu'a eu lieu l'explosion, " toutes les règles de sécurité étant délibérément enfreintes ", constate un journal de Kiev. Et ce n'est pas parce que cette mine, qui emploie 10 000 travailleurs, est l'une des seules du pays que les financiers internationaux tiennent pour rentable, que les autorités s'y préoccupent plus de sécurité qu'ailleurs. Cent trente mineurs y ont péri en trois ans, ce qui n'a rien d'exceptionnel. Dans les 200 mines du pays, où aucun investissement sérieux n'a été effectué depuis une décennie, les morts se succèdent au rythme de 300 à 400 par an. Non pas que l'on manquerait de personnel qualifié, formé à la sécurité, mais parce que les équipements ne sont plus entretenus ni renouvelés. Et parce que les directions ont pour seul but, outre de s'enrichir dans divers trafics, d'obtenir le plus de charbon à moindre coût et détournent le peu d'investissements publics qui y sont faits.

Lors d'une interview, le directeur de Zasiadko, par ailleurs député et proche de Koutchma, a rejeté la faute de l'explosion sur l'encadrement. Refusant de répondre à un syndicat qui dénonce " les infractions permanentes à la sécurité commises par la direction ", il a eu l'indécence de se décrire en bienfaiteur des mineurs. Il aurait consacré dix millions d'euros à la sécurité en 2002, les familles des mineurs auraient droit à des vacances à la mer, les veuves et leurs enfants seraient pris en charge. Et d'ajouter qu'il verserait des " salaires convenables " : l'équivalent de 350 à 400 euros pour un mineur en front de taille. Le pire est que ce salaire de la peur est, en Ukraine, trois à cinq fois plus élevé que celui d'un grand nombre des travailleurs : la paie, quand elle est versée avec des mois de retard, atteint 120 euros dans les autres mines ; dans une aciérie de Dniepropetrovsk, un professionnel très qualifié touche 150 euros, une ouvrière en fonderie moitié moins, pour des semaines de plus de 50 heures.

Le Premier ministre ukrainien annonce qu'en 2003 la part du budget de l'État consacrée à la sécurité minière sera " fortement augmentée ". Ce n'est pas la première promesse du genre : cela n'améliorera pas le sort des mineurs, mais cela mettra encore plus de beurre dans la " kacha " de leurs directions et de tous ceux qui vivent sur leur dos et sur leurs os.

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