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Leur société
Scandales financiers, corruption, malversations : Le fonctionnement naturel du capitalisme
Les scandales financiers et les faillites qui se succèdent dans certaines multinationales ont accéléré la chute vertigineuse des grandes places boursières. En conséquence, un certain nombre de commentateurs et d'économistes commencent à s'inquiéter de la situation. Tous font semblant de découvrir avec une horreur feinte que des capitalistes seraient malhonnêtes ; et chacun y va de ses idées pour faire croire qu'il serait possible de " réformer le capitalisme " en le moralisant, ce qui, à les entendre, pourrait éviter les actuels soubresauts boursiers.
En réalité, ce qui est reproché à ceux dont les pratiques ont été mises à l'index, c'est simplement de ne pas avoir réussi et surtout d'entraîner dans leur chute d'autres capitalistes qui ne méritaient pas un tel sort. Car les commentateurs qui se lamentent n'ignorent évidemment pas que la fraude financière a toujours fait partie de l'arsenal déployé par les capitalistes pour augmenter leurs profits. Les uns et les autres ont beau se désoler que " la criminalité comptable frappe l'économie de marché au coeur, dans son élément constitutif : la confiance ", rien n'y fera. L'éthique du capitalisme, pour reprendre un terme à la mode, n'existe pas, n'en déplaise à ceux qui aujourd'hui veulent faire croire le contraire.
Le capitalisme, depuis sa naissance, ne s'est jamais embarrassé de telles questions. Sans remonter à l'édification des fortunes bourgeoises qui se sont faites sur l'expropriation de la paysannerie, l'exploitation féroce des classes ouvrières, la traite des Noirs ou le pillage des peuples coloniaux, toute l'histoire des grands empires industriels et banquiers a été jalonné de duperies, de mensonges, de coups fourrés...
Et dans la même veine, il faut une sacrée dose d'hypocrisie pour s'étonner que des capitalistes puissent corrompre des politiciens. Comme si cette corruption, des politiciens bien sûr, mais aussi des policiers, des magistrats, sans oublier les journalistes, n'avait pas toujours fait partie des pratiques parfaitement courantes du capitalisme, et plus généralement de toutes les classes dominantes. Avoir dans sa manche qui un politicien, qui un magistrat ou un commissaire de police (qui plus est grassement rétribué) est un élément dans la concurrence que peuvent se livrer les capitalistes entre eux. Les plus importants disposent quant à eux du soutien direct de leur État d'une façon tout à fait légale et sans bourse délier.
Dans ce contexte, les solutions qui sont proposées aujourd'hui semblent non seulement dérisoires mais risibles. Le Monde a interrogé un certain nombre de chefs d'entreprise, banquiers et autres directeurs de cabinet d'audit, pour leur demander ce qu'il convenait de faire face à la montée de la " criminalité comptable ". C'est un peu comme si on allait interviewer des cambrioleurs pour leur demander comment à leur avis on pourrait renforcer la sécurité des coffres-forts.
Et comme on pouvait s'y attendre, ces messieurs commencent par brandir leur bonne foi et celle du capitalisme : " Le discrédit jeté sur l'ensemble des entreprises est totalement infondé ", tient à préciser D. Kessler, nº2 du Medef. Et tous insistent sur le fait qu'il faudrait plus de transparence et - encore une fois - plus d'éthique.
La transparence, la vraie, ce serait la levée des secrets commerciaux, industriels et bancaires ; ce serait la possibilité pour les salariés et toute la population d'aller vérifier et contrôler la comptabilité des entreprises et de leurs principaux actionnaires. Mais de telles mesures seraient une atteinte véritable au droit des capitalistes de spéculer à leur guise, ce qui est un des fondements du système et de la construction des empires industriels et financiers actuels.
Enfin, on ne peut qu'être choqué par la façon dont certains s'offusquent du caractère " immoral " des fraudes comptables. Ceux-là ne voyaient rien à redire à l'époque où de jeunes golden boys construisaient des fortunes mirifiques en quelques heures sur un coup de Bourse heureux. Rien à redire au fait que l'année dernière, dans un monde où la misère s'accroît de jour en jour, la fortune des 400 capitalistes les plus riches du monde ait augmenté de un milliard de dollars par personne. Et leur morale souffre bien peu lorsque l'on jette à la rue des milliers de travailleurs, comme chez LU ou Marks & Spencer, pour atteindre les 15 % de rentabilité exigés par les actionnaires.
La morale des défenseurs du capitalisme est à géométrie variable. Faire des profits insensés en exploitant des millions de travailleurs, en pillant et étranglant les pays pauvres ; en laissant crever de misère des milliards d'êtres humains pour enrichir une poignée de profiteurs, tout cela ne leur semble pas immoral. Mais qu'un grand patron ne parvienne pas à se sortir d'une tourmente dont il est lui-même responsable, et que cela fasse baisser fortement les cours de la Bourse, et les voilà qui crient au scandale.
Moraliser le système, cela ne se peut. Tout au plus les laudateurs du capitalisme peuvent-ils adapter leur morale aux moeurs de cette société où gouvernent l'appât du gain, l'égoïsme et la dictature des plus forts.