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Transport aérien
Quand l'argent peut tomber du ciel...
La Commission de Bruxelles s'est empressée de se servir de la catastrophe du 2 juillet pour prétendre qu'elle démontrerait la justesse de son projet de " Ciel unique ", qu'elle décrit comme devant harmoniser le contrôle aérien en Europe.
Il est vrai qu'un avion qui la survole a affaire à un grand nombre de tours de contrôle successives ayant, parfois, des normes de navigation différentes. C'est dû au morcellement en États nationaux de ce continent aussi peuplé que les États-Unis, alors que ces derniers disposent d'un système de navigation et d'une réglementation unifiés pour un espace aérien plus vaste.
Mais cela n'a rien à voir avec ce crash. En outre, l'Europe dispose quand même d'organismes communs et unificateurs, Eurocontrol et la Conférence européenne de l'aviation civile (CEAC), et, par exemple, tout le Benelux est couvert par un seul opérateur tandis que la Suisse contrôle une partie de l'espace aérien allemand et français voisin. Et l'USAC (syndicat CGT des aiguilleurs du ciel) rappelle que " le contrôle aérien ne s'embarrasse plus des frontières depuis près de 50 ans ", et cela pour près de 40 pays d'Europe.
En fait, le " Ciel unique européen " de la Commission couvre un projet qui représente un bond en arrière puisqu'il " unifierait " le ciel des Quinze (et d'eux seuls)... pour mieux le découper en parts de gâteau mises aux enchères entre des opérateurs privés comme Skyguide, en Suisse.
On voit à quoi cela aboutirait dans l'autre pays d'Europe où on a privatisé le contrôle aérien, la Grande-Bretagne. Sept compagnies aériennes du pays y ont acheté près de la moitié du capital (l'Etat garde le reste) du NATS, l'organisme qui contrôle les flux aériens, en gelant les embauches et rognant sur les investissements. Résultat : en juin, on a dû fermer des secteurs de l'espace aérien et supprimer des vols car, comme en Suisse, on manquait de calculateurs au sol pour gérer le trafic, alors qu'on procédait à la maintenance de ces équipements indispensables.
Mais les actionnaires des compagnies aériennes privées y ont trouvé leur compte. D'abord parce que, dans ce pays où elles ont plus licencié de personnel que partout ailleurs en Europe, l'un des postes où elles pouvaient encore économiser était celui des redevances à l'organisme de gestion du trafic (qu'elles contrôlent). Et aussi parce que, face à l'engorgement croissant des aéroports, celui-ci a tendance à donner la priorité de décollage et d'atterrissage à ses compagnies-actionnaires, d'où un net avantage commercial pour elles quand la concurrence fait rage entre les " majors " de part et d'autre de l'Atlantique.
Soumis à pareil traitement, le NATS est en quasi-cessation de paiement. Qu'à cela ne tienne. S'il a de plus en plus de mal à assurer la sécurité des vols, il a un autre actionnaire, l'Etat. Et c'est vers lui - donc la poche des contribuables - que se sont tournées les compagnies pour exiger le renflouement du NATS, en arguant des contrecoups des événements du 11 septembre aux États-Unis. La fois prochaine, elles trouveront autre chose...
L'extension du système existant en Suisse et en Grande-Bretagne, voilà ce que vise la Commission européenne, soutenue, ouvertement ou non, par tous les États des Quinze. Si ce projet voyait le jour, il permettrait de transférer encore plus de fonds publics au privé et abaisserait le niveau de la sécurité aérienne, alors que, pour l'assurer, la Fédération mondiale des aiguilleurs du ciel estime qu'il manque déjà (y compris dans le secteur public) 2000 contrôleurs aériens pour la seule Europe de l'Ouest.