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- Lutte ouvrière n°1772
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Italie : Accord séparé contre "l'article 18"
Un " pacte pour l'Italie " : c'est ainsi que le gouvernement italien a présenté l'accord signé le 5 juillet avec deux confédérations syndicales. Mais le pacte en question comporte surtout la suspension partielle de " l'article 18 " qui protège les travailleurs contre les licenciements abusifs et dont la menace de suppression avait motivé la grande manifestation du 23 mars dernier à Rome, ainsi que la grève générale du 16 avril.
Cet article 18 du Statut des travailleurs a été adopté en 1970 dans la foulée des luttes ouvrières de 1968-1969. Il institue en fait dans les entreprises de plus de quinze salariés une interdiction de licencier, sauf " juste cause ", le patron pouvant être condamné à réintégrer le salarié injustement licencié.
L'" article 18 " est donc depuis longtemps dans le collimateur du patronat et des gouvernements, y compris le gouvernement de centre-gauche qui a précédé l'actuel gouvernement de Berlusconi, même si depuis longtemps les patrons italiens ont appris à tourner en grande partie cet article. En effet, des travailleurs sont embauchés sous les statuts les plus variés : intérimaires, travailleurs en CDD, travailleurs indépendants, sous-traitants en tout genre, et enfin derniers nés les " co-co-co ", les " collaborateurs coordonnés continus ", membres de " coopératives " collaborant avec l'entreprise, n'ayant pas le statut de salarié et donc pratiquement aucune garantie : autant de situations qui n'entrent pas dans le cadre du " Statut des travailleurs ", et donc de " l'article 18 ".
Les journées du 23 mars et du 16 avril, la forte participation ouvrière, mais aussi celle de nombreux jeunes, travailleurs précaires en tout genre, ont montré combien la classe ouvrière italienne était sensible à la question de l'emploi et de ses garanties, et prête à lutter non seulement pour le maintien de l'article 18 mais pour l'extension de ses garanties à tous ceux qui en sont privés.
Cependant les organisations syndicales se sont bien gardées, au lendemain de la journée de grève générale du 16 avril, de poursuivre la mobilisation des travailleurs. Cela a été évidemment le cas de la CISL et de l'UIL, deux confédérations tout à fait comparables à FO et à la CFDT et qui ne s'étaient laissées entraîner dans le mouvement qu'à contre-coeur. Mais cela a aussi été le cas de la CGIL -la CGT italienne- dont le leader Cofferati, habitué de la concertation au temps des gouvernements de centre-gauche, avait appelé à la grève générale en déclarant que sur une question concernant les droits fondamentaux des travailleurs, comme celle de l'article 18, il ne transigerait pas. Après le 16 avril, la CGIL s'est contentée d'initiatives comme des appels à la grève région par région, grèves le plus souvent bien suivies mais apparaissant forcément en retrait par rapport à la journée de grève générale.
Cela laissait le champ libre au gouvernement Berlusconi pour poursuivre ses manoeuvres et pour obtenir la signature séparée de la CISL et de l'UIL. L'accord prévoit pour l'instant la suspension de l'article 18 pour trois ans " à titre d'expérience ", et seulement pour les entreprises qui, en embauchant, passeraient le seuil de quinze salariés à partir duquel l'article 18 s'applique. Le tout est intégré à un paquet de mesures censées favoriser l'emploi : crédits d'impôts et subventions aux entreprises sous prétexte de favoriser l'investissement, et une sorte de PARE à l'italienne. Celui-ci comporte à la fois une légère augmentation de l'indemnité de chômage, jusque-là dérisoire, la menace de la suspendre en cas de refus d'une formation ou d'un emploi proposé, et un contrôle majeur des chômeurs de la part des agences de placement, publiques et privées.
Même si l'attaque de Berlusconi contre l'article 18 a été biaisée, l'obtention d'un accord séparé est pour lui un succès politique ; succès facile au demeurant car Cofferati malgré ses proclamations n'est pas prêt à engager une véritable épreuve de force entre la classe ouvrière et gouvernement et patronat, ce qui impliquerait d'ailleurs de définir des objectifs plus larges que la seule défense de l'article 18. Le gouvernement s'est même permis des provocations à l'égard de la CGIL, allant jusqu'à accuser Cofferati d'être un complice objectif du terrorisme parce qu'il entretient la tension sociale ! Ce qui revient au fond à accuser peu ou prou de terrorisme tout travailleur qui lutte ou manifeste. Car bien sûr Berlusconi ne considère pas que ce sont ses attaques antiouvrières qui entretiennent ladite tension sociale...
Après cela Cofferati et la CGIL ont annoncé pour toute riposte une grève générale " à l'automne " et le recours... à un référendum. La loi italienne permet en effet, à condition de recueillir 50000 signatures pour cela, de demander un référendum sur une " loi d'initiative populaire ", pouvant donc remettre en cause la loi suspendant partiellement l'article 18. Mais il s'agit d'une voie de garage par excellence puisque, au lieu de lutter, on propose aux travailleurs d'attendre le résultat d'un vote. Pire, dans un tel référendum où votent tous les électeurs, y compris tous les bourgeois, petits-bourgeois et autres qui sont pour la suppression de l'article 18 et en général de toute norme limitant quelque peu l'exploitation des travailleurs, les partisans du maintien de l'article peuvent être minoritaires. Le référendum peut aboutir à donner une caution démocratique à la suppression d'une conquête ouvrière.
Les syndicats italiens sont habitués de ce genre de manoeuvre : en 1984, la grève générale contre la suppression de quatre points d'indice dans l'échelle mobile des salaires avait été détournée vers un référendum... qui avait entériné cette attaque au pouvoir d'achat des travailleurs.
Après leur démonstration de force du printemps, la CGIL et ses dirigeants sont donc en train de préparer tout doucement une voie de garage pour masquer leurs capitulations. Reste à savoir si les travailleurs italiens s'y laisseront bloquer.