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Dans le monde
Afghanistan : Entre la terreur des bombes américaines et celle des chefs de guerre
Deux événements viennent de rappeler brutalement que rien n'est réglé en Afghanistan.
Le premier de ces événements a été un massacre : le 1er juillet, l'aviation américaine a bombardé quatre villages de la province d'Uruzgan, au centre-est du pays, faisant 48 morts et 117 blessés. Après avoir invoqué la présence de batteries anti-aériennes dans ces villages, puis celles de forces d'Al-Qaïda, les généraux américains ont dû faire machine arrière, pour finalement parler de " déficiences " dans les renseignements dont ils disposaient et annoncer qu'une " enquête " allait être diligentée. Mais les morts, eux, n'en ressusciteront pas pour autant : ils ont déjà rejoint les milliers de victimes du terrorisme d'Etat de Bush dans la population afghane.
En tout cas ce massacre aussi gratuit qu'ignoble montre une chose : si les médias occidentaux se désintéressent aujourd'hui de l'agression américaine contre l'Afghanistan, celle-ci se poursuit et continue à tuer.
Quant au deuxième événement, il s'est produit le 6 juillet, en plein coeur de la capitale, Kaboul, avec l'assassinat d'Hadji Qadir, l'un des cinq vice-présidents du gouvernement provisoire. Après le ministre de l'Air, Abdul Rahman, qui avait été abattu sur l'aéroport de Bagram en février dernier, c'est le deuxième dignitaire du régime mis en place par les USA à être ainsi éliminé.
Tout comme l'assassinat d'Abdul Rahman, celui d'Hadji Qadir n'a été revendiqué par aucun groupe. Mais ce que reflètent ces deux attentats ne fait aucun doute. Ce sont les rivalités opposant des factions en lutte pour le pouvoir, même si un certain nombre d'entre elles maintiennent les apparences d'une coexistence pacifique au sein d'un régime imposé et maintenu en place par l'écrasante supériorité militaire des Etats-Unis.
C'est ainsi qu'après l'assassinat d'Abdul Rahman, un ancien membre du parti intégriste Jamiat-e-Islami (qui domine le régime actuel) rallié au clan de l'ex-roi Zahir Shah, de hauts dignitaires du Jamiat avaient été accusés d'avoir trempé dans l'affaire, y compris le chef des services secrets. Mais les choses en étaient restées là, sans doute pour préserver le fragile équilibre entre les factions rivales qui se partagent le pouvoir.
Hadji Qadir, lui, faisait sans doute de l'ombre à bien plus de monde encore.
Tout d'abord en tant qu'ancien bras droit de Gulbuddin Hekmatyar au sein du Hezb-e-Islami, dont la rivalité avec le Jamiat conduisit à la guerre civile qui ensanglanta le pays de 1992 à 1996. Or si le Hezb-e-Islami a été mis sur la touche par ses anciens protecteurs américains, il n'en reste pas moins une force, en particulier dans l'ethnie pachtoune, la plus importante des minorités afghanes.
Et puis Hadji Qadir était le seul représentant pachtoune disposant d'un fief réel (la province de Nagarhar autour de Jelalabad) et de troupes en nombre, dans un gouvernement où la composante pachtoune n'est représentée que par des hommes comme le président Hamid Karzaï, qui doivent leur place bien plus aux liens qu'ils ont développés en exil avec les dirigeants américains qu'à leur influence réelle dans la population.
Il est probable que certains dans la hiérarchie du Jamiat ne voulaient pas de cet ennemi d'hier dans les allées du pouvoir, et cela d'autant moins qu'il avait les moyens d'une certaine indépendance face au quasi-monopole du Jamiat sur le plan militaire. Tout comme il est probable que bien des chefs de guerre pachtounes, ou autres d'ailleurs, voyaient d'un mauvais oeil la prétention à peine déguisée d'Hadji Qadir de parler au nom de l'ensemble des Pachtounes. Certains commentateurs ont même suggéré que les efforts d'Hamid Karzaï pour amener Hadji Qadir à rejoindre son gouvernement en juin, pourraient n'avoir eu d'autre but que de l'isoler de son fief afin de mieux l'éliminer.
Peu importe d'ailleurs quelle faction a pris l'initiative d'éliminer ce chef de guerre promu " vice-président " dont on apprend aujourd'hui, en passant, qu'il s'était taillé la réputation d'être l'un des plus gros trafiquants de drogue du pays - preuve supplémentaire, s'il était nécessaire, que Bush n'est pas regardant quant aux alliés qu'il choisit pour ramener le pays à ce qu'il appelle la " démocratie ".
Car en fait de " démocratie ", c'est dans la terreur des bombes américaines et des rivalités entre chefs de guerre intégristes que continue à vivre la population afghane.