Barbelés, miradors, gardes-frontières : Le rêve européen28/06/20022002Journal/medias/journalnumero/images/2002/06/une1770.jpg.445x577_q85_box-0%2C104%2C1383%2C1896_crop_detail.jpg

Tribune de la minorité

Barbelés, miradors, gardes-frontières : Le rêve européen

Le sommet européen de Séville a pris une série de décisions pour mieux réprimer l'immigration clandestine, proclamant comme l'a formulé Chirac, " que l'immigration illégale contrarie la politique d'intégration des immigrants légaux ". Si l'idée de sanctions contre les pays pauvres qui n'empêcheraient pas efficacement leurs ressortissants de fuir vers les " paradis " européens a été repoussée, diverses mesures de surveillance en commun des frontières, de contrôles des visas et de renvoi vers les pays d'origine ont en revanche été adoptées. Sur le terrain de la chasse à l'immigré, les gouvernements européens n'ont pas voulu paraître en reste face à la concurrence des extrêmes droites de leurs pays respectifs.

Alors que l'on proclame à grands coups de trompette l'époque de la mondialisation économique ouverte, que les capitaux, les marchandises, les sociétés internationales ne connaissent pas de frontières, alors que l'on assiste à de nombreuses " projections " des armées des pays riches aux quatre coins de la planète, la seule ouverture toujours plus impitoyablement combattue est celle concernant les personnes. Oh ! Bien sûr pas les dictateurs des pays pauvres, soutenus ou imposés par les puissances impérialistes qui les pillent, mais les populations qui subissent le joug des uns et crèvent de l'exploitation des autres.

Les gouvernements européens sont ainsi tous d'accord pour augmenter les budgets de lutte contre l'immigration et le contrôle aux frontières, un budget qui représente déjà des millions d'euros. Comme ils sont tous d'accord pour traquer les désespérés qui cherchent à fuir la misère ou la dictature de leur pays.

Selon les estimations de l'ONU, chaque jour dans le monde environ 82 000 personnes meurent à cause du sous-développement dont 35 000 de faim. Comment s'étonner alors que pour essayer d'échapper à la misère, des hommes, des femmes, des enfants tentent au péril de leur vie de franchir les frontières de l'Europe ? C'est ainsi que l'on retrouve noyés des Africains ayant essayé de tromper la surveillance des gardes côtes pour passer en Espagne après avoir traversé sur des coquilles de noix le détroit de Gibraltar, des Afghans ou des Kurdes écrasés par le train qui devait leur faire franchir la Manche ou électrocutés par une caténaire, des Roumains ou des Chinois étouffés ou morts de froid dans des containers, des jeunes " tombés du ciel " après s'être cachés dans le train d'atterrissage d'un avion...

Quant à ceux qui réussissent à passer ces premiers obstacles, il leur faut ensuite affronter les conditions faites par les exploiteurs du travail des sans-papiers, salaires de misère et accidents du travail, risquer d'être pris à l'occasion d'un contrôle, traités comme des criminels, menottés et emmenés vers des lieux de détention infâmes. Ceux qui ainsi capturés, parfois après des mois ou des années vécues dans la peur de cette issue fatale, sont ensuite jetés dans des avions, bâillonnés, ligotés et surveillés comme les pires des assassins, avant d'être renvoyés à la misère de leur pays d'origine en ayant tout perdu.

C'est cette chasse à l'homme que les gouvernements européens veulent systématiser et pour laquelle ils veulent coopérer, chasse aux frontières et chasse à l'intérieur des frontières pour en expulser ceux qui sont parvenus à passer au travers des mailles du filet !

La distinction entre immigration légale et illégale n'est que pure hypocrisie destinée à faire admettre ces mesures. Ce n'est que tout à fait exceptionnellement que l'immigration a été légale : lorsqu'en période de plein emploi, des patrons comme Citroën ou Peugeot par exemple sont allés chercher au fonds des campagnes au Maroc ou en Turquie les ouvriers qu'ils n'arrivaient pas à trouver pour faire fonctionner leurs usines. Mais c'est sans papier que des générations d'immigrés ont commencé à travailler pour la plupart. Et de grosses comme de petites entreprises - du bâtiment et des travaux publics, du textile, de la métallurgie ou même des sous-traitants d'entreprises publiques comme EDF ou la SNCF - ont su et savent toujours profiter de leur vulnérabilité pour les exploiter dans des conditions pires que celles des travailleurs du pays.

Ceux des travailleurs qui n'ont pas ou plus ce problème des papiers, qu'ils soient nés ou pas dans un pays européen, n'ont aucun intérêt à l'oublier. Car d'une certaine façon, comme le proclament ceux qui défilent en solidarité avec les sans-papiers, " première, deuxième, troisième génération, nous sommes tous des enfants d'immigrés ".

Non, nous ne devons pas marcher aux arguments de ceux qui sous prétexte de légalité à respecter, ou sous le prétexte mensonger de " protéger nos emplois " ou " notre sécurité ", permettent au patronat de profiter tant de l'immigration légale qu'illégale, comme des travailleurs nés dans le pays, tous corvéables et licenciables à merci sans distinction. Même si des organisations ouvrières comme les syndicats sont souvent ou muettes ou ambiguës sur le sujet. Même si des partis de gauche - comme le PCF longtemps défenseur du " produire français ", ou comme le PS ayant au gouvernement conduit les clandestins à se déclarer, pour ensuite faire le tri et en rejeter la moitié dans une situation d'illégalité encore pire - prétendent le faire au nom des intérêts des travailleurs, pour ne pas " accueillir toute la misère du monde " selon la formule de Rocard.

Ces prétendues justifications, qu'elles viennent de la gauche ou de Chirac, ne sont finalement que de la contrebande d'une camelote diffusée par Le Pen et ses semblables européens.

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