Une société sans pitié pour les plus faibles20/06/20022002Journal/medias/journalnumero/images/2002/06/une1769.jpg.445x577_q85_box-0%2C104%2C1383%2C1896_crop_detail.jpg

Leur société

Une société sans pitié pour les plus faibles

Une mère, qui avait déjà eu une petite fille atteinte d'une grave maladie neuromusculaire héréditaire, avait demandé un examen prénatal pour son deuxième enfant à naître. Le bébé devait être sain. Mais deux ans plus tard, il s'est avéré qu'il souffrait de la même maladie que sa soeur. Le résultat de l'examen prénatal avait en fait été inversé avec celui d'une autre patiente.

Les parents avaient saisi un tribunal pour obtenir une indemnisation financière de la part de l'hôpital. En attendant que le jugement soit rendu sur le fond, l'Assistance publique leur avait versé une provision d'un million de francs, qui leur a permis notamment d'acheter immédiatement un véhicule adapté. Mais entre-temps une loi a été votée pour empêcher qu'un enfant puisse obtenir une indemnisation du fait de son handicap, comme cela avait été le cas pour l'enfant Perruche.

Le tribunal a donc pris appui sur la nouvelle loi pour demander à cette famille, ayant déjà à sa charge deux enfants handicapées, de rembourser 90 % de la somme versée par l'hôpital. Finalement, l'Assistance publique-Hôpitaux de Paris a décidé " dans l'attente d'une clarification juridique " de renoncer à demander que les parents d'une enfant née handicapée lui remboursent l'indemnisation provisoire qu'elle leur avait accordée en 2001.

Mais la discussion pour savoir s'il est moral qu'une personne handicapée puisse recevoir une indemnisation du fait de son handicap, et sur la responsabilité des médecins et de l'hôpital en cas d'erreur de diagnostic, escamote le problème immédiat et urgent.

Que cette famille puisse garder son indemnisation, c'est la moindre des choses. La société (pas obligatoirement la Sécurité sociale, mais là n'est pas l'essentiel), devrait compenser notamment par l'octroi de moyens financiers la situation d'inégalité des personnes handicapées et assurer leur existence matérielle. Elle devrait aussi tout faire pour aplanir les difficultés sévères que rencontrent leurs familles, en leur apportant des moyens humains et matériels, pour que ceux qui ont besoin d'aide puissent trouver l'accompagnement nécessaire toute leur vie et puissent, autant que leur handicap le leur permet, avoir une vie sociale comme les autres membres de la collectivité.

Or, au-delà des discours, la prise en compte des besoins des handicapés reste largement déficiente quand elle n'est pas inexistante. Si, selon les statistiques officielles, plus de quatre enfants handicapés sur cinq vont en maternelle et à l'école primaire, seulement 5 % d'entre eux parviennent au lycée. Dans le domaine de l'éducation, un début de solution pourrait être trouvé si le personnel éducatif existait en nombre suffisant pour tous les enfants. Il faudrait, en plus, du personnel de soin et d'accompagnement formé à des tâches spécifiques en fonction des handicaps. Dans ce domaine, presque tout reste à faire. Aujourd'hui, on évoque de plus en plus souvent la possibilité de scolariser des enfants handicapés en les intégrant dans des établissements ordinaires. Les pouvoirs publics admettent que quelque 40 000 enfants handicapés supplémentaires pourraient être scolarisés en milieu ordinaire. Mais comment cela pourrait-il se faire dans des conditions convenables pour les handicapés alors que ceux qui n ont pas de handicap physique ou psychologique souffrent déjà d un manque de moyens criant ?

Tout cela ne facilite pas l'insertion des handicapés dans le monde du travail. 59 % des adultes handicapés en sont écartés. Pour eux, se déplacer constitue une véritable épreuve de force notamment en région parisienne. Dans ce domaine comme dans d'autres, l'état se dérobe à ses responsabilités, laissant 90 % du réseau RATP et 85 % des gares inaccessibles aux personnes handicapées. Les patrons se moquent de l'obligation légale qui leur est faite, concernant l'embauche des handicapés. La multiplication actuelle des CDD courts et des contrats d'interim constitue un obstacle supplémentaire à l'intégration professionnelle de personnes handicapées. 140 000 sont officiellement au chômage, dont 40 000 depuis plus d'un an, réduites à des situations financières souvent très difficiles. La moindre des choses serait que la collectivité assure à tous ses membres les moyens de vivre convenablement et dignement, à l'égard de ceux qui peuvent fournir une contrepartie en travail comme à l'égard des autres.

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