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- Lutte ouvrière n°1769
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Dans les entreprises
Région de Caen : Image d'une désertification organisée
Il fut un temps où, quand on arrivait sur Caen, on voyait trôner la masse imposante de la SMN (Société Métallurgique de Normandie) au-dessus de l'agglomération. Depuis une dizaine d'années, la SMN a disparu, et avec elle les milliers d'emplois.
Celui qui a fermé la SMN n'est autre que Francis Mer, le récent ministre de l'Economie du gouvernement Raffarin.
En 1986, un autre gouvernement de droite, celui de la première cohabitation, sous Mitterrand et Chirac, avait placé Francis Mer à la présidence d'Usinor. Il y resta quand la gauche revint aux affaires après 1988. Et en 1991 et dans les années qui suivirent, c'est sous les gouvernements socialistes de Rocard puis de Bérégovoy que Mer put exercer ses talents de licencieur. En quelques années, il fit fermer de nombreuses entreprises, dont la SMN. Il a ainsi fait passer de 120 000 à 40 000 les effectifs du groupe qu'il présidait.
Ayant servi sous la droite et sous la gauche comme grand patron d'un groupe industriel alors contrôlé à 100 % par l'Etat, Francis Mer a donc à son actif d'avoir, entre autres, liquidé l'un des principaux employeurs de cette région. Ces tristes exploits souligneraient, s'il en était besoin, qu'il n'y a pas eu de différence fondamentale, pour les travailleurs, entre les politiques des gouvernements de droite et de gauche, qui ont tous gouverné au détriment du monde du travail.
Et dans la région, cela n'arrête pas.
En septembre dernier, les quatre usines du groupe Moulinex ont fermé leurs portes : à Alençon, à Bayeux, à Falaise et à Cormelles-le-Royal, où 1200 travailleurs de plus se sont brusquement trouvés privés de leur emploi. Ces travailleurs ont dû se défendre, le dos au mur. Ils se sont battus, seuls, contre leur patron mais aussi contre les pouvoirs publics, le gouvernement Jospin en l'occurrence, qui n'ont pas levé le petit doigt pour s'opposer à ces licenciements.
Jospin a finalement promis aux futurs licenciés une prime " exceptionnelle " de licenciement. Une prime dérisoire de 80 000 F, amputée du RDS et de la CSG. Un comble ! Il a fallu des mois et que débute vraiment la campagne présidentielle pour que des licenciés touchent enfin cette malheureuse somme. Et encore, tous n'y ont pas eu droit. Chez de nombreux sous-traitants de Moulinex, comme Vaujoix à Mondeville, il y a eu aussi des licenciements. Eh bien, là, quand le gouvernement a accordé une prime, elle n'a parfois été que de 15 000 F !
Neuf mois après la fermeture de Moulinex, où en est-on ? Un journal vient de recenser 1 926 licenciés qui ont fait une demande de reconversion, sur les trois sites du Calvados. Or, sur ces 1 926 demandes, même pas une sur quatre, très exactement 432, ont " une solution identifiée ". Seuls 95 licenciés de Moulinex - même pas un sur vingt - ont retrouvé un emploi avec un contrat à durée déterminée.
Et les salaires qui vont avec ? Le salaire moyen est en dessous de la moyenne nationale. Dans l'agglomération de Caen, 16 % des gens, c'est-à-dire un habitant sur six, doit vivre avec un revenu inférieur au seuil officiel de pauvreté. Quand on a été privé de son emploi, quand on retrouve un travail, si on en retrouve un, on est souvent payé moins de 6 000 F.
Pour ceux qui ont jeté les travailleurs de Moulinex comme des malpropres, la situation est loin, elle, d'être dramatique. Les actionnaires qui s'étaient enrichis pendant des dizaines d'années sur le travail de milliers d'hommes et de femmes, eux, que l'on sache, n'ont rien perdu de leur fortune. Pour déposer son bilan, Moulinex a invoqué un milliard de pertes. Mais ces prétendues pertes n'ont pas été perdues pour tout le monde. Ainsi, lors de la fusion Moulinex-Brandt, les actionnaires de Brandt ont reçu 800 millions de francs de Moulinex.
On le voit, quand une entreprise ferme, et même quand elle annonce des pertes, cela ne veut pas dire que ses dirigeants, ses actionnaires se retrouvent sur la paille. Alors, oui, il faudrait enquêter sur la fortune de ces gens-là, il faudrait pouvoir savoir où passe l'argent des subventions publiques que touchent les patrons. Une pareille enquête, seuls les travailleurs pourraient la mener. Car on ne peut évidemment pas faire confiance à des autorités qui, au plus haut niveau, ont partie liée avec les patrons.
On en a un autre exemple avec Valeo. Cet équipementier automobile appartient à la richissime famille de Wendel, dont le représentant le plus connu est le baron Seillière, le chef du Medef. Ce monsieur et sa famille trouvent que Valeo ne leur rapporte pas assez et ils veulent s'en débarrasser. Il y a six mois, ils ont fermé l'usine Valeo de Vire : près de 300 salariés y ont perdu leur emploi. Maintenant, c'est celle de Saint-Aubin-d'Arquenay qui est sur la sellette.
Aidé hier par la gauche et maintenant par la droite, Seillière, principal actionnaire de Valeo, met la clé sous la porte en jetant des familles ouvrières dans le désespoir et en étranglant l'économie de villes entières. Mais il laisse aussi d'autres traces sinistres de son passage. Par exemple dans les environs de Condé-sur-Noireau, qu'on appelle là-bas parfois " la vallée de la mort ", tellement elle a été infectée par l'amiante utilisée notamment par Valeo.
Non contents d'avoir saccagé l'emploi, la vie de la population et la nature de régions entières, les patrons, ces vandales des temps modernes, n'en partent pas les poches vides. Il y a un mois, Seillière a revendu cinq millions d'actions de Valeo. Un quotidien a rapporté alors qu'en s'attaquant à l'emploi de 5 000 salariés d'une trentaine d'usines Valeo dans toute l'Europe, la famille de Wendel avait amassé un matelas de 300 millions d'euros !