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- Lutte ouvrière n°1768
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Leur société
"Service Minimum" dans le secteur public ?
La droite a commencé de ressortir, en cette période de campagne électorale, ce vieux chiffon qu'elle agite périodiquement, qui consiste à restreindre le droit de grève dans les services publics, reparlant du " service minimum " dans les transports publics.
" Nous souhaitons arriver à un système, dans les mois à venir, dans lequel, lorsqu'il y a conflit, les trains circulent le matin et le soir pour permettre aux gens d'aller travailler ", a déclaré le nouveau secrétaire d'Etat aux Transports, Bussereau, prenant le relais de Chirac sur le thème du " service minimum en cas de grève ". Les mauvaises langues ajouteront qu'il importe à ces hommes-là que la population puisse arriver au travail, bien plus qu'elle en reparte.
La réplique de Hollande est significative : " Ce serait la provocation qui amènerait à un long conflit, peut-être même comme en 1995. (...) C'est la plus mauvaise démarche, non pas qu'il ne faille pas organiser la grève dans les services publics (...) mais il faut le faire sur la base de la négociation ". Ce que Hollande recommande en fait à la droite, c'est de s'assurer de la complicité des syndicats en négociant avec eux avant de porter le coup.
Évidemment, ni la droite, ni le PS, ni les commentateurs ne discutent de ce qui conduit à faire grève. Ils feignent d'ignorer, ou même ignorent, car ils vivent dans un autre monde, que ce n'est pas par plaisir que les salariés du secteur public, comme les autres salariés, décident de se mettre en grève. C'est parce que la situation est devenue insupportable ou risque de le devenir pour les conditions de travail, pour la paye et la retraite. Ces dernières années, le gouvernement a voulu imposer sa loi sur les 35 heures sans l'embauche correspondante dans des services publics alors que ceux-ci manquaient déjà cruellement de personnel, et c'est pourquoi des grèves ont éclaté.
La grève dans le secteur public est source de difficultés pour les usagers, mais elle l'est aussi d'abord pour les grévistes eux-mêmes qui y perdent une partie de leur salaire. Non, la grève n'est jamais le résultat d'un coup de tête. Et souvent, beaucoup hésitent avant de s'y engager. Il serait d'ailleurs tout à fait légitime d'imposer le paiement des heures de grève puisque les patrons, en l'occurrence les pouvoirs publics, sont responsables de la situation qui conduit à la grève.
Dans un secteur comme les hôpitaux s'ajoute une difficulté supplémentaire : le personnel est déjà tellement au minimum tous les jours qu'il n'est souvent possible de se rendre à une assemblée générale ou à une manifestation qu'en dehors du temps de travail. Et au cas où quelques personnes d'un service peuvent tout de même y être déléguées, cela signifie énormément de travail pour ceux qui restent. Car les travailleurs qui font grève sont des gens conscients de leurs responsabilités. Les irresponsables sont ceux qui organisent toute l'année la pénurie de personnel, mettant en danger la vie des malades.
De même, dans les transports, le service est bien restreint en temps ordinaire, comme le reconnaissait implicitement un président de la SNCF en 1995. Lorsque le trafic est paralysé par la grève, expliquait-il, la mise en place d'un service minimum serait " extraordinairement difficile à assurer ". " Si vous dites, par exemple, qu'en banlieue parisienne, le programme minimum, c'est ce qui permet aux gens d'aller travailler, nous faisons tous les jours le programme minimum ".
En décembre 1995, le gouvernement Juppé voulant retarder l'âge de départ en retraite dans le secteur public en étendant le mauvais coup qui avait déjà été porté dans le secteur privé, les cheminots lui répondirent par la grève. Le RPR, le parti de Chirac, tenta à l'époque de susciter des manifestations d'usagers contre les grévistes, réclamant un " service minimum ", et la CFDT offrit à Juppé ses services pour négocier dans le même sens. Ils firent chou blanc. La grève s'étendit dans le secteur public. La revendication du retour aux 37 ans et demi de cotisations pour tous, dans le privé comme dans le public, était à l'ordre du jour. Si le secteur privé n'a finalement pas rejoint la grève, beaucoup de salariés se sont sentis solidaires, malgré la gêne occasionnée. Et cela a compté pour faire reculer le gouvernement de droite, puis pour enlever à celui de la gauche plurielle le goût de revenir à la charge pendant plusieurs années.
En réalité, ceux qui gouvernent ne laissent pas aux travailleurs d'autre choix que de faire grève car c'est la seule arme contre la baisse du niveau de vie et les restrictions constantes de personnel. Accepter une limitation de la grève dans le secteur public, ce serait faciliter une nouvelle dégradation du niveau de vie pour les salariés eux-mêmes, et aussi pour tous les usagers qui connaissent déjà quotidiennement des services publics insuffisants ou dégradés.
D'ailleurs, toutes ces bonnes âmes qui plaident contre les grèves seraient bien mieux avisées de faire pression contre les patrons et les directions de services publics, voire contre le gouvernement lui-même, pour qu'ils accèdent aux revendications des salariés. A ce moment- là, il n'y aurait pas de grèves, donc pas besoin de service minimum. Mais faut pas rêver !