Madagascar : Dictateur-président ou capitaliste-président ?14/06/20022002Journal/medias/journalnumero/images/2002/06/une1768.jpg.445x577_q85_box-0%2C104%2C1383%2C1896_crop_detail.jpg

Dans le monde

Madagascar : Dictateur-président ou capitaliste-président ?

Le nouveau président de Madagascar, Marc Ravalomanana, capitaliste de l'agro-alimentaire, a été " officiellement " investi, en mai dernier, président de Madagascar, au détriment du dictateur sortant Didier Ratsiraka. Depuis plusieurs mois, ce dernier a organisé le blocus économique de la capitale, Antananarivo, acquise à son rival, s'appuyant sur les gouverneurs des différentes provinces de l'île qui lui sont restés fidèles. Le bras de fer entre les deux prétendants au pouvoir continue donc. La crise politique s'approfondit de jour en jour.

Une élection présidentielle truquée...

Dernière péripétie qui vient de faire monter la tension politique d'un cran entre les deux camps : l'arrestation et la mise en résidence surveillée du Premier ministre du dictateur sortant par les troupes de Ravalomanana, le 27 mai dernier. Le nouveau président cherche à asseoir son autorité depuis qu'il a été " officiellement " proclamé vainqueur de l'élection présidentielle du 16 décembre 2001 et investi président, le 6 mai dernier. La Haute Cour constitutionnelle a confirmé son avance avec 51,46 % des voix contre 35,90 % à Ratsiraka.

Mais l'ancien dictateur et ses partisans refusent de reconnaître leur défaite. Ils accusent leur concurrent de leur avoir volé la victoire et de s'être autoproclamé président. Selon eux, la Haute Cour, dont la composition a été modifiée, a truqué les résultats électoraux et a couvert d'un voile légal le coup d'Etat de Ravalomanana. Ces critiques ne manquent pas de sel puisqu'elles émanent d'un dictateur passé maître dans l'art de trafiquer lui-même les élections ! Jusqu'à présent l'armée s'est gardée d'intervenir ouvertement dans la crise politique actuelle. Jusqu'à quand ? Certains officiers supérieurs ont déjà commencé à abandonner leur neutralité pour prendre fait et cause pour l'un ou l'autre camp.

... Et une crise politique qui s'approfondit

Les 8 et 9 juin derniers, les deux prétendants au pouvoir se sont, une nouvelle fois, rencontrés à Dakar, à la demande et sous la houlette de plusieurs dictateurs africains soucieux de trouver une solution à la crise malgache, l'impérialisme français tirant les ficelles en coulisses par l'intermédiaire de son nouveau ministre des Affaires étrangères. Mais cette réunion s'est soldée par un échec, chacun des deux " présidents " campant sur ses positions.

Marc Ravalomanana dispose du soutien d'une partie de l'appareil militaire. Le soutien populaire de la capitale Antananarivo, dont il est le maire, lui est en grande partie acquis comme l'ont montré les manifestations et les grèves massives de ces derniers mois. Les chefs religieux, toutes tendances confondues, adhèrent à sa cause. Mais son autorité ne dépasse guère les limites de la capitale et des hauts plateaux environnants. Et c'est là tout son problème. Du coup il multiplie les signes forts d'autorité et annonce son intention de reconquérir le territoire par la force s'il le faut.

Le dictateur sortant Didier Ratsiraka refuse de jeter l'éponge et s'accroche au pouvoir. Depuis plusieurs mois, il organise le blocus économique de la capitale et tente de l'asphyxier. S'appuyant sur les gouverneurs de province qui ont fait sécession à l'égard du pouvoir central, Ratsiraka contrôle le reste du pays, multipliant les barrages routiers. Ses partisans détiennent le principal port du pays, Toamasina (ex-Tamatave), poumon économique de la Grande Île, par lequel transitent toutes les marchandises. Samuel Lahady, gouverneur de Toamasina, a proclamé le 1er mai dernier l'indépendance de sa province, transformant celle-ci en capitale d'un nouvel ensemble confédéral qui regroupe toutes les provinces sécessionnistes de l'île.

Les pauvres, premières victimes du blocus

Les effets du blocus se ressentent dans la capitale, dans les grandes villes du pays, mais aussi dans les villages les plus reculés de la brousse. Les prix des aliments de première nécessité flambent : le sac de 50 kilos de riz coûte de plus en plus cher (125 000 francs malgaches soit 19 euros, soit près de la moitié du salaire mensuel d'un travailleur d'une zone franche), devenant inabordable pour la très grande majorité de la population. Le prix de l'essence s'envole. Le blocus favorise le marché noir et l'apparition de margoulins de toutes espèces. Des villages entiers manquent d'eau : de nombreuses fontaines fonctionnent avec des groupes électrogènes et comme il n'y a plus d'essence... il n'y a plus d'eau !

Ni les bourgeois de la capitale, ni les hiérarques militaires, ni les gouverneurs de provinces, ni les hautes autorités religieuses ne sont affectés par ce blocus. Seules les masses les plus déshéritées en souffrent. A cela s'ajoute le racket des militaires sur les barrages routiers. Les conséquences dramatiques du cyclone de mai dernier accentuent encore la crise : une grande partie de la récolte de riz est détruite, des villages entiers sont inondés et coupés du reste du monde, tandis que le choléra et le paludisme menacent.

Ni Ravalomanana ni Ratsiraka ne représentent une alternative pour la population malgache

La crise politique et économique qui secoue l'île s'aggrave de jour en jour. Des affrontements violents entre les deux partis ont fait plusieurs dizaines de morts. Et cela risque de continuer. Les populations pauvres, qui survivent dans les faubourgs de la capitale dans le dénuement le plus complet, sont descendues dans la rue par haine de la dictature, symbolisée par l'enrichissement personnel fastueux de la clique jusqu'alors au pouvoir et la corruption généralisée de toute la société, pour manifester leur soutien à Marc Ravalomanana. Elles peuvent se réjouir de la défaite - pour l'instant - de l'ancien dictateur honni, Didier Ratsiraka. Mais elles auraient tort de croire en ce nouvel homme fort du pays qui n'apportera pas le changement auquel elles aspirent depuis si longtemps.

La presse a encensé le nouveau président. Elle l'a présenté comme un " homme moderne ", " un self-made man " dont les méthodes d'enrichissement personnel devaient servir d'exemple à la jeunesse malgache. Mais cet homme est avant tout l'homme du patronat de l'île. Il doit sa fortune à un prêt de la Banque mondiale de 1,5 million de dollars (1,7 million d'euros). Tel a été le " coup de pouce " qui a permis à sa modeste entreprise familiale de yaourts de devenir, en l'espace de quelques années, le premier groupe alimentaire malgache et un groupe financier de 5 000 personnes. Le " roi du yaourt " a été ainsi propulsé au sommet de l'Etat grâce à la finance internationale !

Il ne se cache pas d'ailleurs d'entretenir les meilleures relations avec nombre de multinationales américaines, canadiennes ou allemandes, avec qui il est en " affaires " ; multinationales qui, toutes, lorgnent sur la main-d'oeuvre à bon marché de l'île et ses richesses naturelles. Ce grand capitaliste n'a aucune politique, aucun programme qui puisse améliorer le sort de la population de l'île. Les intérêts qu'il défend sont à l'opposé de ceux des masses pauvres. Tout comme le sont ceux du dictateur sortant, Didier Ratsiraka, le candidat de l'impérialisme français, ami personnel de Jacques Chirac, qui a profité de ses vingt ans de règne - entrecoupé d'une légère cure d'opposition - pour amasser une fortune colossale.

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