Pays-Bas : Après le succès de la liste Pim Fortuyn31/05/20022002Journal/medias/journalnumero/images/2002/05/une1766.jpg.445x577_q85_box-0%2C104%2C1383%2C1896_crop_detail.jpg

Dans le monde

Pays-Bas : Après le succès de la liste Pim Fortuyn

Comme tous les sondages l'annonçaient, le parti de Pim Fortuyn, ce démagogue réactionnaire assassiné par un militant pour le droit des animaux le 6 mai dernier, a obtenu un succès important aux élections générales du 15 mai. Avec 17 % des suffrages exprimés et 26 députés (sur 150) au Parlement, il obtient un score jamais atteint par une formation se situant à l'extrême droite de l'échiquier politique.

L'extrême droite néerlandaise avait déjà connu une petite percée au début des années 1990 et obtenu quelques postes de conseillers municipaux. Mais le résultat qui est sorti des urnes le 15 mai dernier est sans commune mesure puisque la Liste Pim Fortuyn est désormais le deuxième parti du pays en termes électoraux. Alors on peut se demander ce que représente ce mouvement. Sur le plan organisationnel, ce n'est pas réellement un parti puisqu'il a vu le jour il y a trois mois seulement, lorsque Pim Fortuyn avait été écarté d'une petite formation de droite à laquelle il appartenait alors (Les Pays-Bas Vivables), pour avoir déclaré que l'Islam était le vecteur d'une " culture arriérée ". Il s'est alors présenté pratiquement tout seul aux élections municipales de Rotterdam et y a obtenu 34 % des suffrages.

Sur le plan politique, Pim Fortuyn ressemble plus à un aventurier réactionnaire qu'à un réel militant d'extrême droite. Après avoir tenté, sans succès, de faire une carrière dans différents partis institutionnalisés, il s'était lancé en politique en faisant campagne contre tout et n'importe quoi : contre l'immigration et l'insécurité bien sûr, déclarant, par exemple, que " Les Pays-Bas étaient pleins ", tout en exprimant le dégoût que lui inspiraient, paraît-il, les idées racistes et xénophobes. Et il avait aussi tenu à préciser que, en tant qu'homosexuel, il appréciait les prostitués marocains ! Il avait également pris pour cible " Les hommes en gris de La Haye ", désignant par là les politiciens au pouvoir, éloignés des préoccupations des citoyens de base.

En France, bien des journalistes se sont étonnés que toute cette démagogie ait trouvé du crédit dans l'électorat d'un pays connu pour sa qualité de vie et où le taux (officiel) de chômage est plus faible qu'ailleurs (3,25 %). En réalité, le succès du courant réactionnaire incarné par Pim Fortuyn ne s'explique, en creux, que par le discrédit profond qui a touché la gauche gouvernementale. Celui-ci s'est traduit par un revers historique du parti social-démocrate, qui porte le nom de Parti du travail (PvdA) : ce dernier vient de passer de 45 à 23 sièges.

Le PvdA paie là, auprès de l'électorat populaire, sa participation au pouvoir depuis 13 ans... avec des partis de droite. En effet, de 1989 à 1994, il fut membre d'une coalition dirigée par l'Appel Chrétien-Démocrate (CDA). Puis, de 1994 à 2002, ce fut lui le pivot de ce qu'on a appelé la " coalition violette " qui associait principalement le PvdA et le Parti Libéral.

Wim Kok, qui a occupé pendant cette période le poste de Premier ministre, n'était autre qu'un ancien président de la principale centrale syndicale du pays. Mais il a mené, une fois au pouvoir, une politique au service des possédants. C'est lui qui a accompagné de nombreuses privatisations et réduit considérablement le budget des services publics. Au point que les chemins de fer et le système de santé, qui passaient pour des modèles en Europe, se sont considérablement dégradés. C'est sous son autorité aussi que le coût du travail a baissé (pour les patrons) et que la flexibilité s'est accrue. C'est encore lui qui, au cours de la campagne électorale, a proposé d'instaurer une caution de 6 000 euros pour tout nouvel immigré. Somme dont la moitié seulement lui serait reversée, au bout de trois ans, s'il avait fait la preuve de sa bonne intégration. Comme on le voit, il n'y a pas eu que Pim Fortuyn pour véhiculer des idées anti-immigrés.

Voilà comment le PvdA s'est profondément déconsidéré (il est passé de 31,9 % des suffrages en 1989 à 15,1 % aujourd'hui). Voilà la cause principale du désarroi et de la perte de repères de bien des électeurs populaires. Voilà dans quelles conditions un espace a été ouvert au premier démagogue venu. C'est désormais l'Appel Chrétien-Démocrate, qui s'est refait une santé dans l'opposition pendant huit ans, qui a entrepris des négociations pour former un gouvernement avec les Libéraux... et les amis de Pim Fortuyn. Ces derniers ne disposent, pour l'instant, ni de troupes ni d'appareil, hormis un certain nombre de jeunes et moins jeunes loups avides de se faire élire. Et l'avenir dira s'ils donneront réellement naissance à un parti d'extrême droite s'implantant dans toutes les couches de la société ou s'ils se discréditeront au gouvernement aussi rapidement qu'ils sont apparus.

En attendant, leur nouveau leader vient de déclarer, au cours des négociations en vue de la formation du gouvernement, que, avant de mettre en place une politique plus restrictive en matière de droit d'asile, il était pour régulariser les immigrés illégaux vivant aux Pays-Bas. Et c'est la droite " classique " qui a répondu que ce n'était pas possible !

Aux Pays-Bas comme dans bien d'autres pays d'Europe, l'évolution politique a lieu dans un sens réactionnaire. Ce n'est qu'en renouant avec les idées du mouvement ouvrier et les traditions de la lutte de classe qu'on pourra inverser le cours des choses.

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