Inde-Pakistan : Une " drôle de guerre ", lourde de menaces31/05/20022002Journal/medias/journalnumero/images/2002/05/une1766.jpg.445x577_q85_box-0%2C104%2C1383%2C1896_crop_detail.jpg

Dans le monde

Inde-Pakistan : Une " drôle de guerre ", lourde de menaces

Des manoeuvres spectaculaires de l'armée indienne, auxquelles le Pakistan a immédiatement riposté en testant un nouveau missile sol-sol capable de transporter une charge nucléaire à 400 km de son point de départ, sont venues rappeler que ces deux pays sont toujours en état de guerre suspendue. Car cela fait bientôt cinq mois que toutes les voies de passage entre l'Inde et le Pakistan sont bloquées et que plus d'un million de soldats sont sur le pied de guerre de part et d'autre de leur frontière commune.

En décembre dernier, suite à un attentat commis par des intégristes musulmans contre le Parlement fédéral de New Delhi, le gouvernement indien avait tiré prétexte de la croisade de Bush contre le terrorisme pour mobiliser son armée contre le Pakistan.

Aujourd'hui nul ne parle plus de cet attentat. Mais si les troupes des deux Etats n'ont guère bougé de leurs positions, elles n'ont cessé de s'affronter - directement sous la forme de duels d'artillerie, ou indirectement, par l'intermédiaire de groupes de maquisards et de terroristes s'attaquant aux troupes régulières d'un camp pour le compte de l'autre. Et comme toujours depuis que le colonialisme anglais a présidé à la partition sanglante des deux pays en 1947, c'est au Cachemire, territoire qu'ils se disputent depuis lors, que ce concentrent les hostilités.

Des arrière-pensées politiciennes...

Une fois de plus, la population du Cachemire se trouve donc prise entre deux feux et elle le paie de son sang. Et c'est d'autant plus révoltant que les régimes des deux pays entretiennent délibérément cette guerre larvée parce que, pour l'un comme pour l'autre, elle tombe à pic.

Pour Musharraf, le dictateur pakistanais, cette guerre aura été l'occasion de se créer une légitimité qu'il n'avait jamais eue jusqu'alors. Elle lui a permis de devenir le pivot d'une " union sacrée " allant de certains courants islamistes qui le combattaient pour sa complicité avec l'agression américaine contre l'Afghanistan, à des partis comme le PPP de Bénazir Bhutto, qui s'étaient élevés jusqu'alors contre sa dictature. D'ailleurs Musharraf ne vient-il pas, au nom de cette " unité nationale ", de se faire voter une " prolongation " de cinq ans lors d'un référendum qui a eu lieu en février ? Il ne lui reste plus qu'à se servir du même levier pour préparer les élections parlementaires de novembre prochain et s'assurer d'une majorité à sa dévotion.

Mais c'est surtout du côté du gouvernement indien, qui d'ailleurs a été l'instigateur de cette fuite en avant, que les préoccupations politiciennes sont les plus marquées.

Le BJP, le parti hindouiste qui est à la tête de la coalition hétéroclite au pouvoir dans le pays depuis 1998, est en perte de vitesse. Non seulement le pays sombre depuis son arrivée au pouvoir dans une situation économique de plus en plus catastrophique mais après avoir posé aux champions de la lutte contre la corruption, ses dirigeants les plus en vue se sont trouvés au centre de scandales retentissants. D'élection en élection, les voix du BJP s'écroulent. En février, il a été chassé du pouvoir dans tous les Etats de la fédération qu'il contrôlait, à l'exception du Gujarat. En mars, les électeurs de la capitale fédérale lui ont infligé un désaveu cinglant en réduisant des 3/4 les sièges qu'il occupe dans la municipalité.

... Aux assassinats des bandes pogromistes

Face à cette situation, et en prévision des élections au Parlement fédéral qui doivent se dérouler au début de l'an prochain, le BJP fait feu de tout bois. Et sa principale arme, celle d'ailleurs qui lui avait déjà si bien servi au début des années 1990 pour se propulser au pouvoir, consiste à mobiliser l'électorat hindou en attisant la haine contre la minorité musulmane (15 % de la population environ, soit 150 millions d'individus).

La guerre larvée actuelle contre le Pakistan est l'un des aspects de cette politique, mais ce n'est pas le seul et, pour l'instant en tout cas, ce n'est même pas le pire. Car là où le BJP est en position de force, il va bien au-delà des menaces et des postures théâtrales qu'il se donne face au Pakistan.

C'est ce que l'on a pu voir au Gujarat. Dans cet Etat qui compte parmi les plus pauvres du pays et où la minorité musulmane est relativement importante, les organisations liées au BJP se livrent depuis près de trois mois à des pogromes systématiques contre la population musulmane, avec l'appui pratiquement ouvert des autorités.

A ce jour, ces pogromes auraient fait plus de 2000 morts, dont une grande partie brûlés vifs dans l'incendie de leurs maisons, sans parler de plus d'un millier de " disparus ". Plus de 150 000 sans-abri sont entassés dans des camps, dans des conditions d'hygiène ignobles - des camps dits " de réfugiés " mais qui ont tout de camps de prisonniers, où les occupants vivent dans la terreur parce qu'ils ont toute raison de craindre que les policiers qui sont censés les garder laissent rentrer les bandes pogromistes - car cela s'est vu.

Pour l'instant, les pogromes anti-musulmans des organisations satellites du BJP sont restés limités au Gujarat. Mais là où il dispose de forces plus limitées, le BJP pourrait bien se servir de la guerre contre le Pakistan comme d'un levier pour se rallier l'électorat hindou en le dressant contre l'" ennemi de l'intérieur " musulman. Et l'on peut craindre que, même sans qu'éclate une guerre ouverte, la fuite en avant dans laquelle s'est lancé le régime du BJP se termine quand même dans un véritable bain de sang.

Si tel était le cas, l'impérialisme porterait de nouveau une responsabilité écrasante, tout comme ce fut le cas en 1947. A l'époque, c'était pour assurer sa domination sur cette partie du monde que l'impérialisme avait organisé la partition de l'Inde. Aujourd'hui, c'est pour réaffirmer sa toute-puissance face aux peuples des pays pauvres, sous couvert de " lutte contre le terrorisme ", que l'impérialisme aurait alors montré la voie aux tortionnaires du BJP.

Partager