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Colombie : Un nouveau président "à poigne"
Le nouveau président de la Colombie, Alvan Uribe, candidat de droite, pour ne pas dire d'extrême droite, a obtenu 53 % des suffrages, aux élections du 26 mai dernier, contre 31 % à un autre candidat de la droite libérale. Le candidat de gauche obtenait 6 % et la candidate écologiste, Ingrid Bettancourt, séquestrée par la guérilla depuis février dernier, 0,5 %. Ce résultat devrait suffire à Uribe pour mener la politique " musclée " qu'il a annoncée. Comme son prédécesseur, le conservateur Andrès Pastrana, qui achevait un mandat présidentiel non renouvelable de quatre ans, il entend lui aussi sauver le pays de tous ses maux : la guerre civile, la pauvreté et la corruption. Mais, l'élection passée, la déconvenue risque d'être grande car le nouveau président est l'homme de l'armée et des groupes paramilitaires, principaux responsables du climat de violence qui règne dans le pays.
Uribe, fils de propriétaire terrien, prône comme valeur " travail, famille, Eglise ". Il a pris dans la campagne électorale le contre-pied des tentatives de négociation avec la guérilla mises en avant par son prédécesseur, Pastrana. Ces tentatives n'ont évidemment pas débouché sur la paix sociale espérée par une population fatiguée de 38 ans de guerre civile, mais elles n'étaient aussi de la part de Pastrana qu'un moyen comme un autre d'essayer de s'imposer dans un pays difficile à gouverner.
Uribe, ancien gouverneur de Medellin, ville surtout connue pour avoir abrité un des cartels de trafiquants de drogue qui sévissent en Colombie, et qui a lui même échappé à quatre attentats, prétend " en finir avec la violence dans la fermeté ". Cette orientation a été immédiatement saluée par l'ambassadrice des Etats-Unis. Car Washington veille sur la Colombie, contribuant depuis longtemps au budget de l'armée, tandis que le Fonds Monétaire International accorde ses emprunts pour empêcher que l'endettement de la Colombie ne l'entraîne dans une situation comparable à celle de l'Argentine. Ces quatre dernières années, la part de l'endettement est en effet passée du tiers du produit intérieur brut à la moitié.
Les déclarations d'intention d'Uribe sont donc en tout point conformes aux voeux de Washington, qui prône la lutte contre le terrorisme (et donc contre la guérilla) et critiquait les tentatives de négociation avec les guérilleros. Uribe exprime également, dans son costume civil, les aspirations les plus directes de la caste militaire. Il se propose en effet de doubler les effectifs de l'armée et d'embaucher un million de personnes pour constituer un " réseau d'informateurs ", comprenez d'indicateurs de police, ce qui renforcera une des plaies de la Colombie : les groupes paramilitaires qui, avec l'armée, portent la plus grande responsabilité dans le climat de guerre civile.
Que l'immense majorité des 42 millions de Colombiens, dont 64 % vivent dans la pauvreté, aient soif de changement, c'est l'évidence. Malheureusement, ils ne peuvent guère attendre un changement du renforcement de l'emprise de l'armée et des groupes paramilitaires.
Le conflit avec les guérillas n'est pas le seul problème de la société colombienne. Il y a aussi le poids pris par la drogue dans l'économie, mais là aussi il y a beaucoup d'hypocrisie. Le développement de la drogue dans l'économie mondiale est une maladie du système capitaliste qui transforme toutes les marchandises, y compris les plus inavouables, en capitaux qui se réinvestissent dans le système financier international.
Les Etats-Unis, qui considèrent l'Amérique latine, et donc la Colombie, comme leur chasse gardée, se posent officiellement en champions de la lutte contre la drogue. Cela leur fournit un prétexte pour intervenir en Colombie, ou ailleurs. Mais cette prétendue lutte contre la drogue en Colombie est en réalité surtout une guerre menée contre les paysans colombiens à qui le système impérialiste n'a plus guère laissé d'autre choix, après la chute des cours du café au début des années quatre-vingt, que de se reconvertir dans la culture des matières premières destinées à la confection de drogue. Alors, les arrachages de plantations auxquels se livre l'armée colombienne, financée par Washington, sont spectaculaires, mais ils ne font pas reculer d'un iota la distribution de la drogue. Pas plus d'ailleurs que la mise hors d'état de nuire des cartels qui s'en disputent le leadership. On les disperse, on les élimine, mais d'autres prennent la place et le trafic se poursuit, parce qu'il sert aussi à alimenter les circuits financiers en argent frais.
Et si les Etats-Unis voulaient vraiment s'attaquer à la drogue, il leur faudrait faire le ménage dans leur propre système financier, et accessoirement dans certaines de leurs officines de renseignement qui ont elles-mêmes trafiqué dans la drogue pour assurer leur budget (une pratique commune à la plupart des services secrets, qui l'ont pratiquée à un moment ou un autre, y compris les services français) et même s'en prendre à une partie des classes dirigeantes d'Amérique latine. Un propriétaire foncier, ami du père du nouveau président, n'avait-il pas deux fils mouillés dans ces trafics... Toutes choses que les Etats-Unis n'ont évidemment pas envie de mettre en oeuvre.
En tout cas, cette situation a nourri une véritable militarisation de la Colombie. L'existence de mouvements de guérilla a constitué pour l'armée, et pour les groupes paramilitaires qui agissent dans l'ombre, un parfait alibi pour justifier des moyens et des aides supplémentaires, y compris des emprunts de l'Etat colombien auprès de Washington. Autant dire que militaires et paramilitaires ne sont pas pressés de voir la guerre civile s'achever. Et c'est d'ailleurs pourquoi à chacune des multiples tentatives de pacifier la guérilla, par exemple en lui donnant une reconnaissance politique légale, les paramilitaires sont intervenus le plus simplement du monde en exécutant les représentants politiques légaux des différentes guérillas, de la même façon qu'ils interviennent contre toutes les tentatives du mouvement ouvrier colombien de relever la tête. La liste est longue des syndicalistes assassinés au cours de ces vingt dernières années.
Et ce n'est certainement pas en donnant plus de moyens à l'armée et aux groupes paramilitaires que le nouveau président va mettre fin à la violence qui ravage le pays. Bien au contraire, il ne peut qu'alimenter la violence.
En attendant, les premières propositions d'Uribe montrent qu'il cherche à tirer parti de la déconsidération des politiciens pour réduire la représentation civile, puisqu'il veut ramener le Congrès de 268 à 150 sièges, " par référendum " si le Sénat et la Chambre des députés ne le suivent pas sur ce choix. Il veut également supprimer le Conseil de la magistrature. Ces mesures, outre réduire une représentation démocratique déjà plutôt symbolique, auront un effet direct sur le budget, car le président entend geler les traitements des parlementaires et réduire le montant de leurs retraites qui est de l'ordre d'environ 50 000 francs par mois dans un pays où le salaire minimum est de l'ordre de 750 francs. Il prétend qu'avec cet argent économisé, il fera construire 100 000 logements sociaux.
Mais les travailleurs et les couches populaires colombiennes n'ont pas plus à croire à cette promesse qu'aux autres. Le pays ne sortira du chaos dans lequel l'ont plongé les grandes puissances impérialistes et les classes riches qu'en se débarrassant des uns et des autres. Et pour cela, les classes laborieuses ne peuvent compter que sur elles-mêmes.