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TotalFinaElf Et la dictature Birmane
En Birmanie, l'opposante Aung San Suu Kyi, assignée à résidence de 1989 à 1995, puis à nouveau à partir de septembre 2000, vient d'être libérée. Son parti, la Ligue nationale pour la démocratie, avait remporté une victoire à des élections législatives en mai 1990, que la junte militaire au pouvoir refuse de reconnaître. D'ailleurs, le Parlement ne s'est jamais réuni.
À l'occasion de sa libération, un petit coup de projecteur médiatique s'est porté sur la dictature qui règne dans cette ancienne colonie anglaise, et qui emprisonne des milliers d'opposants. Mais pas au point de mettre en lumière les liens de la dictature avec TotalFinaElf.
Aung San Suu Kyi déclarait à ce propos en 1995 que la firme française Total était devenue le plus fort soutien du système militaire birman. Des réfugiés birmans ont porté plainte devant un tribunal belge contre le PDG de TotalFinaElf, Thierry Desmarest, et contre l'ancien directeur de l'exploitation en Birmanie pour « complicité de crime: contre l'humanité ».
Total est le premier investisseur étranger en Birmanie. En 1992, quatre ans après un bain de sang par lequel la dictature birmane avait écrasé un soulèvement populaire, Total avait signé avec la junte militaire un contrat d'exploitation du gisement gazier de Yadana, dans la mer d'Andaman, au sud de la Birmanie. La compagnie pétrolière avait pour partenaire une société d' Etat birmane. C'est l'armée birmane qui a contrôlé la construction du gazoduc, les 300 kilomètres de sa partie sous-marine comme son tronçon terrestre qui s'étend sur 345 kilomètres.
En 1999, une mission parlementaire française déclarait que « les militaires ont eu recours au travail forcé, au déplacement de population et en ont profité pour nettoyer une zone d'insurrection ». Depuis des décennies, en effet, des minorités ethniques mènent une lutte à mort contre les pillages organisés par les militaires. Selon un rapport de la minorité Mon à l'étranger, au moins 30 000 habitants ont été déplacés de force et 15 000 contraints de s'enrôler pour construire une voie de chemin de fer destinée à acheminer hommes de troupe et matériel militaire dans la zone du gazoduc.
L'acte d'accusation qui vient d'être porté devant un tribunal belge met en cause directement Total dans la répression. Il indique que des « bataillons Total », chargés d'assurer la sécurité du gazoduc, ont pratiqué des tortures, des déportations et des exécutions sommaires. La plainte précise que des hélicoptères de la compagnie ont été utilisés pour des transports de troupes et de munitions tandis que, sous l'appellation de « consultants en sécurité », des mercenaires ont été engagés par Total pour appuyer l'armée birmane dans la « sécurisation du site ». S'appuyant sur 77 témoignages de réfugiés birmans, l'accusation fait état de « travail forcé massif, y compris d'enfants, utilisé par les bataillons Total (...) au moins jusqu'en juin 2001 ». L'accusation ajoute, ce qui crédibilise l'accusation, que Total a indemnisé « discrètement » 463 victimes.
La direction de la société pétrolière nie en bloc les accusations portées contre elle, les qualifiant d'« inimaginables ». Déjà, lors d'une assemblée des actionnaires à Paris en mai 2000, Thierry Desmarest avait déclaré « Nous ne faisons pas de politique et nous n'intervenons pas dans les affaires intérieures birmanes ». Et il ajoutait: « Il n'est nullement dans les intentions de Total de se retirer de la Birmanie, nous y créons des écoles, des dispensaires, nous aidons l'artisanat dans la zone où nous opérons ».
Ce genre de plaidoyer n'est pas nouveau. Du temps de la colonisation, quand les travailleurs d'Indochine laissaient leur vie sur les plantations d'hévéas de Michelin, quand les Africains, enrôlés de force pour la construction de la ligne « Congo Océan », laissaient autant de morts qu'il y a de traverses de chemin de fer, on enseignait aux enfants la prétendue oeuvre civilisatrice de l'Empire français qui créait écoles et dispensaires.
Mais évidemment, toute ressemblance ou lien entre la barbarie coloniale d'il y a quelques décennies et les agissements d'une société pétrolière d'aujourd'hui serait « inimaginable ». Mieux vaudrait dire inavouable.